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La famille et la révolution


Roberto de Mattei.

Par le professeur Roberto de Mattei (Voice of the Family) — Traduit par Campagne Québec-Vie

Le discours ci-dessous a été prononcé lors de la conférence « Transmettre le dépôt de la foi — la mission de la famille catholique d’aujourd’hui », organisée par Voice of the Family et tenue du 6 au 8 septembre 2019 au Newman Hall de l'Aumônerie catholique universitaire, à Cardiff.

Les paroles de sœur Lucie de Fatima

Dans un discours prononcé en mai 2017 au Rome Life Forum, le cardinal Carlo Caffarra a confirmé avoir reçu une longue lettre manuscrite de sœur Lucie en 1983 ou 1984 qui se terminait ainsi :

Père, il viendra un moment où la bataille finale entre le Seigneur et le royaume de Satan portera sur le mariage et la famille, et ceux qui travaillent pour le bien de la famille connaîtront la persécution et les tribulations. Mais, il n’y a rien à craindre, parce que Notre Dame a déjà écrasé sa tête.*

Le Cardinal Caffarra est décédé quelques mois plus tard, en septembre 2017 alors qu’il se trouvait au centre de la bataille sur la famille qui est survenue au sein de l’Église après la publication de l’exhortation apostolique Amoris Lætitia du Pape François. Mais cette bataille, que nous continuons à vivre aujourd’hui, n’est qu’une bataille dans une guerre plus vaste entre deux villes qui ont combattu tout au long de l’histoire ; les deux villes desquelles saint Augustin d’Hippone a écrit : la Cité de Dieu et la Cité de Satan. La Cité de Dieu composée par l’Église de Jésus-Christ et l’autre par les disciples de Satan. Ces deux villes s’opposent comme deux armées : le but de chacune est d’annihiler l’autre et par conséquent leur conflit est continu et sans fin.

La famille constitue une image terrestre de la Cité de Dieu, qui est l’Église. Aussi, la destruction de la famille a toujours été un objectif permanent des ennemis de Celle-ci.

La famille base de l’État

L’Église enseigne que la famille n’est pas une simple union entre deux individus, mais une institution sociale. Et elle n’est pas une simple institution sociale comme tant d’autres, mais une institution sociale basée sur un sacrement : le sacrement du mariage, ce qui a de nombreuses conséquences.

Dans un discours prononcé en 1946, Pie XII a affirmé que les deux piliers de l’ordre civil conçus et voulus par Dieu sont la famille et l’État. [1]

Il y a un lien inséparable entre la famille et l’État. La prospérité des nations dépend de la prospérité des familles et vice versa. Le déclin des nations est donc lié au déclin de l’institution de la famille.

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L’existence de cette relation est logique et évidente. Dès notre naissance, nous sommes tous membres d’une société, parce que, comme le dit le livre de la Genèse, « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gen 2, 18). La famille est née avec l’homme, de même que toute forme de société naît avec l’homme : la famille, l’État, l’Église qui, fondée par Jésus-Christ et dirigée par Lui-même, est la société la plus importante de toutes. Et c’est pour cette raison que le Magistère de l’Église a toujours parlé de la famille comme première cellule de la société ; l’image et le modèle de toute société, née de la famille et propagée du sein de celle-ci. Pie XII écrit :

Chaque famille s’étend et se développe dans les relations que les liens du sang forment. Aussi, les alliances des familles composent, lien à lien, à travers leurs accords harmonieux, un réseau dont l’harmonie et la solidarité assurent l’unité d’une nation ― la grande famille de la grande maison qui est la Patrie.* [2]

Dans La città antica (1864), l’historien français Numa Denis Fustel de Coulanges (1830-1889), montre pourquoi la famille est l’élément fondateur de la civilisation ancienne, grecque et romaine. La grandeur de Rome est basée sur la famille, définie par Cicéron comme seminarium rei publicæ (école de la république [littéralement « chose publique »], des affaires d’État, de la société)**. [3] La famille romaine a été fondée sur la fides, le contrat de mariage entre les époux. Un groupe de familles formait la gens, qui reconnaissait un ancêtre commun qui gardait la mos majorum, c’est-à-dire, les coutumes des anciens et le noyau de la tradition morale.

Le christianisme a élevé le mariage au niveau de sacrement, affirmant son indissolubilité. Lors de l’effondrement de l’Empire romain, la seule réalité qui est restée et qui a formé la base d’une nouvelle société était la famille. La naissance du Moyen Âge a coïncidé avec le développement de l’institution de la famille. Comme l’observe Régine Pernoud, afin de comprendre la société médiévale, il faut étudier son organisation familiale : « C’est là que nous trouvons la “clé” de la période médiévale, ainsi que son originalité. »* [4]

La nouveauté de cette époque était le statut et l’autorité de l’Église : alors que dans la période préchrétienne chaque famille avait son propre culte religieux, pendant l’anarchie qui suivit la chute de l’Empire romain, les institutions ecclésiastiques, le Pape à leur tête, ont guidé la renaissance spirituelle et morale de la société. Ce fut l’origine du féodalisme : le baron était avant tout le chef d’une famille, auquel d’autres chefs de famille rendaient hommage. Le regroupement des fiefs fut à l’origine des royaumes. Le territoire du roi est la patria, qui tire son nom de pater, père. Le roi est le père d’un peuple et le royaume est gouverné comme une famille.

Pendant plus de mille ans, la famille a été le modèle de la société politique en Europe. La Révolution française abolit la monarchie, mais le caractère paternel du gouvernement monarchique dura jusqu’en 1918. L’Empire autrichien était encore gouverné par un système monarchique et familial. Dans la loi monarchique traditionnelle, le roi remplissait une mission publique au service du peuple, pour qui il était comme un père.

Le mariage est aussi un sacrement

La famille n’est pas seulement le premier élément de l’État d’un point de vue historique. Citant l’encyclique Casti Connubii de Pie XI, Pie XII déclare : « La famille est la cellule fondamentale, l'élément constitutif de la communauté de l'État ». [5]

Le mariage est la base de la famille, et tel que l’explique Pie XI dans Casti connubii le mariage se compose de trois grands biens : proles, fides, sacramentum : [6] les enfants, la fidélité et le sacrement. Le proles (descendance) est le but du mariage : la procréation et l’éducation des enfants ; mais le proles présuppose le fides, le pacte de fidélité entre les conjoints. Le mariage est un contrat qui naît du libre consentement des deux conjoints, mais qui ne peut être dissous par leur volonté parce que le sacrement le rend indissoluble. Le sacramentum, le symbole de la création divine et l’image de l’Église en tant qu’épouse du Christ, rend le contrat de mariage indissoluble. Fides et proles font tous deux partie d’autres traditions, tandis que le sacramentum ne caractérise que la famille chrétienne et la rend sacrée. Parce qu’il existe une relation distincte, mais connecte entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, le sacramentum, le fides et le proles ne sont pas des éléments séparés, mais forment un tout unique.

Toute la vie de l’Église est organisée autour des sept sacrements. Le mariage est le sacrement qui unit, de façon indissoluble, un homme et une femme et qui leur accorde une grâce spécifique pour vivre ensemble et éduquer leurs enfants. Comme l’Ordre sacré, le mariage a un caractère social. Ce but social est naturel, mais il est aussi surnaturel : engendrer et éduquer des enfants destinés pour le ciel, destination surnaturelle de tout être humain.

Ainsi, la famille chrétienne n’est pas seulement seminarium rei publicæ, comme Cicéron l’avait définie, mais elle est aussi seminarium ecclesiae. Elle est la première cellule de l’État et de l’Église. L’Église militante sur la terre est composée par les familles, naturelles et religieuses, et est Elle-même une grande famille, sous la direction du Pape et des évêques.

C’est pour cela que le mariage est confié à la vigilance de l’Église.

L’attaque de la Révolution contre la famille

L’antithèse de cette vision chrétienne de la famille est le projet révolutionnaire de sa destruction. Au cours des deux derniers siècles, les principaux ennemis de la famille ont été Marx, Engels, Sigmund Freud, et les intellectuels de 1968.

La première négation de la famille est philosophique et découle du matérialisme dialectique de Karl Marx (1818-1883) et de Friedrich Engels (1820-1895). Dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État [7] Engels prétend démontrer scientifiquement que la famille n’est pas une réalité naturelle, mais une superstructure arbitraire produite par l’histoire et destinée à disparaître. Selon lui, la famille ne peut pas être une réalité naturelle parce qu’il n’y a pas de nature permanente et stable de l’homme. Du point de vue marxiste, tout ce qui existe, c’est de la matière animée par un mouvement continu ; rien n’est permanent, tout change et se transforme. Dans les temps primitifs, soutient Engels, l’humanité vivait non seulement dans le communisme des biens, mais aussi dans la promiscuité sexuelle. Ce n’est que plus tard, dans la société des classes née avec la propriété privée, que la famille naît, où la femme est la victime et l’homme l’exploiteur. Il existe aussi une relation entre l’aliénation familiale et l’exploitation du prolétariat, la classe opprimée. Le mouvement vers le communisme comprend donc la « libération de la femme » par la suppression de la famille et du mariage. Le modèle social du communisme est la vie des hommes primitifs, comme ceux qui vivent encore en Amazonie.

La deuxième négation de la famille est d’un caractère éthique et vient de Sigmund Freud (1856-1939) et de ses disciples. Si le marxisme attaque les bases philosophiques de l’institution familiale, le freudisme s’attaque à son fondement moral. La famille est, en fait, un réservoir de valeurs morales, qui découlent de l’effort des générations à progresser moralement et matériellement. Freud oppose la morale chrétienne, basée sur l’esprit de sacrifice, à une morale hédoniste, basée sur le plaisir, la libido, qui constitue la charnière de la théorie psychanalytique. Le psychanalyste autrichien a introduit deux nouvelles catégories éthiques : la répression et la libération des instincts. L’homme doit se libérer de la morale répressive qui l’empêche de se réaliser, afin de donner un exutoire à ses propres désirs et impulsions sexuels. Disciple de Freud, Wilhelm Reich (1897-1957), a cherché à combiner la psychanalyse avec les doctrines de Marx. Il est le fondateur du freudo-marxisme qui est à l’origine de la révolte étudiante de 1968. Son théoricien principal était Herbert Marcuse (1898-1979). La thèse fondamentale de 1968 est que le marxisme doit être dépassé parce qu’il se limite à une révolution politique sans subvertir les valeurs de la culture et de la vie quotidienne.

L’un des textes fondateurs de 1968 est la Mort de la famille [8] de David Cooper (1931-1986). Pour Cooper, l’« heureuse famille » bourgeoise est indissoluble et se situe donc à l’origine de toute répression sociale. La « folie » n’est pas seulement la réponse aux institutions pathologiques comme la famille, mais c’est une valeur en soi, le fondement d’une nouvelle conscience politique.

Il convient d’ajouter que les intellectuels de la destruction de la famille qui ont préparé 1968 ne se sont pas limités à des œuvres de théorie philosophique, mais, conformément aux principes du marxisme, ont démontré la force de leurs idées en initiant des projets pour la conquête du pouvoir.

C’est le théoricien communiste Antonio Gramsci (1891-1937) qui a élaboré la stratégie de conquête du pouvoir en Occident, et l’auteur américain Saul Alinsky (1909-1972) en a énoncé sa conception la plus radicale et « la longue marche à travers les institutions ». [9] Parmi les disciples d’Alinsky se trouve Hillary Clinton, dont la thèse de doctorat au Wellesley College, écrite en 1968, s’intitulait : « Il n’y a que la lutte... : une analyse du modèle Alinsky. »*

Comme Gramsci, Alinsky a également maintenu un relativisme éthique absolu. Le relativisme est la vision culturelle qui domine notre époque. Il n’y a pas de loi naturelle, pas de principes absolus et universels. Tout dépend des circonstances historiques et des intentions du sujet. Cette philosophie, qui a même pénétré l’Église catholique, est à la racine du nouveau paradigme moral proposé par le pape François. [10]

Valeurs « non négociables »

Benoît XVI a souvent dénoncé la « dictature du relativisme » contemporaine. Dans son discours au Parti populaire européen, le 30 mars 2006, il a rappelé l’existence de « principes qui ne sont pas négociables ». Il les a énumérés ainsi :

— la protection de la vie à toutes ses étapes, du premier moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ;

― la reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille ― comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage ― et sa défense contre des tentatives de la rendre juridiquement équivalente à des formes d’union radicalement différentes qui, en réalité, lui portent préjudice et contribuent à sa déstabilisation, en obscurcissant son caractère spécifique et son rôle social irremplaçable ;

― la protection du droit des parents d’éduquer leurs enfants.

Les valeurs « qui ne sont pas négociables » sont donc le droit à la vie ; le droit à une famille naturelle ; le droit d’éduquer ses propres enfants. Ces droits sont liés entre eux parce que c’est au sein de la famille que naît la vie et qu’il appartient à la famille de développer la vie par le biais de l’éducation.

Je me limiterai à analyser brièvement l’attaque contemporaine contre ces trois valeurs non négociables : la famille, la vie et l’éducation.

La famille

L’attaque principale dirigée contre la famille est menée par le divorce, qui dissout sa structure. L’origine du divorce provient de la Révolution protestante, mais son introduction dans la société européenne s’est produite à cause de la Révolution française. Tous les chefs de la réforme protestante ont permis le divorce, Martin Luther en a été le premier. Dans son œuvre De captivitate babylonica. Luther a nié que le mariage fût un sacrement, et, conformément à cette position, a nié son indissolubilité. Il a affirmé que le mariage pouvait être dissous ipso facto sur la base de l’infidélité de l’un des époux. Le divorce s’est largement répandu lors des siècles suivants dans les pays luthériens, calvinistes et anglicans, mais le divorce civil n’a été officiellement introduit dans les institutions publiques qu’après la Révolution française. L’article 7 de la Constitution de 1791 considérait le mariage comme un contrat civil : « La loi ne considère le mariage que comme contrat civil. » La loi du 20 septembre 1792 a organisé l’état civil du mariage. Ainsi est né ce concept de mariage civil, qui était auparavant inconnu. À partir du moment où le mariage n’est devenu qu’un contrat civil, l’État a prétendu qu’il avait le droit de le réglementer. L’Église, qui dans le Concile de Trente avait réaffirmé le caractère sacramentel du mariage, revendiquait ses droits sur le mariage dans plusieurs documents importants, telle que l’encyclique, Arcanum de Léon XIII, publiée le 10 février 1880.

Les principes de la Révolution française ont été diffusés dans toute l’Europe par le Code civil de Napoléon de 1805 qui, en plus du divorce, a affirmé la division égale obligatoire du patrimoine paternel entre tous les enfants. À partir du moment où le mariage n’a été considéré que comme contrat civil, l’État a prétendu qu’il avait le droit de le réglementer. Mais avec le divorce, la famille a cessé d’être une institution naturelle et est devenue un pacte consensuel entre les individus, destiné à pouvoir être dissous à tout moment et pour une raison quelconque. La loi suprême est devenue celle de l’autodétermination de l’individu. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 attribuait à l’homme la possibilité de faire ce qu’il voulait, même à son propre préjudice, ignorant ou niant toute loi naturelle et morale, avec la seule limite de ne pas porter atteinte à la liberté des autres. La liberté, déclare l’article 4 de la Déclaration, « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. » : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a que les limites qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits de l’homme. Ces limites, précise la Déclaration, « ne peuvent être déterminées que par la loi », qui, selon l’article 6 du texte, est l’expression de la « volonté générale. »

La vie

Le même principe d’autodétermination est à la base de l’attaque contre le deuxième droit non négociable : le droit à la vie. L’avortement, qui est le meurtre d’innocents dans le ventre de la mère, est une conséquence logique de la mentalité contraceptive, qui s’est répandue dans toute l’Europe aux XIXe et XXe siècles. Le premier partisan de la nécessité de réduire les naissances fut le pasteur anglican Thomas Robert Malthus (1776-1834). Pourtant, contrairement à ses disciples, Malthus proposait la chasteté comme seul moyen licite de limiter les naissances. Le néo-malthusianisme antinataliste s’est développé en Angleterre à la fin du XIXe siècle, à cause de Charles Bradlaugh (1833-1891), médecin athée affilié à la franc-maçonnerie, et d’Annie Besant (1847-1933), féministe qui devint plus tard présidente de la Société Théosophique. Leurs idées ont été diffusées en Amérique par Margaret Higgins Sanger (1879-1966), une anarchiste qui fut la fondatrice d’un mouvement en faveur du droit de la femme d’être la « maîtresse absolue de son propre corps ». S’il est licite de limiter les naissances au nom d’une maîtrise absolue de son propre corps, la prochaine étape logique après la contraception est l’avortement.

L’avortement a été légalisé pour la première fois en Russie en 1920 [11] quand la transformation de la révolution politique en révolution sexuelle a été formulée. [12] En 1922, l’Institut Marx-Engels de Moscou a servi de siège à une conférence dirigée par David Ryazanov (1870-1938) et qui avait pour but d’approfondir le concept de la Révolution culturelle, ou plutôt d’une révolution totale qui impliquerait l’homme lui-même, sa nature, ses coutumes, et le plus profond de son être. En 1929 les directeurs de l’institut ont invité Wilhelm Reich à Moscou pour donner une série de conférences. Cela a conduit à la publication du traité Matérialisme dialectique et psychanalyse, le texte fondateur du freudo-marxisme. La pratique de la contraception puis le droit à l’avortement se sont rapidement répandus en Occident au XXe siècle. Dans son encyclique Casti Connubii, Pie XI a condamné ces crimes de manière catégorique et définitive.

L’éducation

La troisième valeur non négociable est niée par l’éducation sexuelle. L’éducation c’est la formation de l’homme qui lui donne les moyens de s’efforcer d’atteindre la fin pour laquelle il a été créé. Le sujet de l’éducation est l’homme accablé par le péché originel, ayant besoin de corriger ses inclinations mauvaises. Les parents ont le droit naturel et divin d’éduquer leurs propres enfants. Ce droit prévaut à celui de la société civile, et il est soumis au jugement de l’Église. L’Église est, en effet, une mère spirituelle qui éduque ses enfants au moyen de son Magistère, et seule elle peut les guider vers la plénitude de leur destin terrestre et céleste.

L’État voulait retirer ce droit à l’Église et aux familles afin de remplacer l’éducation chrétienne par l’éducation antichrétienne. Ce qu’on appelle l’éducation sexuelle est, en réalité, une forme de corruption culturelle et morale. L’expression la plus radicale de cette corruption morale est la soi-disant théorie du genre, qui est une initiation des enfants à la perversité morale. Selon cette théorie, il n’y a pas d’identité masculine ou féminine enracinée dans la nature humaine, mais ce qui nous-mêmes définissons comme masculin et féminin. L’homme et la femme ne sont que des constructions historiques, des rôles donnés par la société, qui n’ont rien à voir avec le sexe biologique. La théorie du genre plonge ses racines dans l’évolutionnisme de Marx et d’Engels, dans la psychanalyse de Freud et de Reich et dans le féminisme et l’homosexualisme d’auteurs comme Michel Foucault (1926-1984). Dans la perspective de ces auteurs, l’homme n’a pas d’essence propre ni de nature spécifique. Son corps est une matière informe qui peut être manipulée comme on veut, selon la nécessité.

Si l’avortement tue le corps, l’éducation de genre tue l’âme. Pour cette raison, les parents ont le droit de défendre leurs enfants contre cette agression, en leur assurant une instruction religieuse authentique et en refusant de les confier à l’influence corruptrice de l’éducation d’État.

Le travail de restauration de la famille

Et que faudrait-il faire ? Il y a un point de départ essentiel. Nous ne pouvons pas croire que nous allons gagner cette bataille en nous fiant uniquement aux forces naturelles. Rien ne pourra être fait, sauf avec l’aide de la grâce.

Le travail de restauration doit s’appuyer avant tout sur des moyens surnaturels : la prière, la grâce et les sacrements. Par-dessus tout, la prière, l’élévation de l’esprit vers Dieu, est nécessaire. Et la forme la plus élevée de la prière est la Sainte Messe. Mais nous avons besoin de prêtres pour célébrer la Messe et administrer les sacrements, qui constituent la nourriture vitale des chrétiens. Ainsi, nous devons conclure qu’il y a avant tout un besoin de prêtres. Bien que cela soit vrai, nous avons aussi besoin de mères, parce que sans mères, il n’y aura pas de prêtres.

Nous avons aussi besoin de pères, parce que sans pères, il n’y a ni mères, ni enfants, ni avenir. Nous avons besoin d’hommes. Et, comme le dit Mgr Delassus, nous n’avons plus d’hommes parce que nous n’avons pas de familles pour les produire. [13]

Il est dit que derrière chaque grand homme il y a une grande femme. Ce n’est que partiellement vrai parce que le contraire est aussi vrai : souvent, derrière une grande femme, il y a un grand homme.

Nous avons besoin d’hommes et de femmes, de pères et de mères. Et pas seulement de pères et de mère biologiques, mais de pères et de mères qui éduqueront leurs enfants, les formeront et les mèneront à la vie éternelle. « Mère, la femme chrétienne sanctifie son fils ; fille, édifiez votre père ; sœur, rendez meilleur votre frère ; épouse sanctifiez votre époux »*, écrit Mgr Delassus (1836-1921). [14] « Heureux l’homme à qui Dieu donne une sainte mère », écrit le poète Alphonse de Lamartine (1790-1869). [15]

« Merci, mon Dieu, mille fois merci, de m’avoir donné une sainte mère ! »*, s’écrient saint Basile le grand et saint Grégoire de Naziance, à la mort de leur sainte mère Emmélie.

— « Je veux faire de mon fils un saint »*, disait la mère de saint Athanase.

Derrière saint Augustin, il y avait sainte Monique, derrière saint Dominique (Guzman), il y avait la bienheureuse Jeanne d’Aza qui a vu trois de ses fils élevés à l’autel ; derrière Saint Louis IX il y avait Blanche de Castille ; derrière Saint Jean Bosco il y avait Marguerite Occhiena, « Mamma Margherita ». Et, quand le Curé d’Ars fut complimenté sur la piété qu’il montrait depuis son enfance, il répondit : « après Dieu, c’était l’œuvre de ma mère »*.

Nous avons besoin de familles chrétiennes, de familles saintes, comme la famille Martin, qui a donné quatre carmélites à l’Église. Du mariage de Louis Martin et Marie-Azélie (Zélie) Guérin en 1858, neuf enfants sont nés, mais seulement cinq filles ont survécu. Les parents ont eu la joie de donner ces cinq enfants au Seigneur, quatre au Carmel de Lisieux et une chez les Sœurs de la Visitation de Caen. Le plus célèbre d’entre elles est sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face. « Le bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre », écrivait sainte Thérèse dans une lettre le 26 juillet 1897.

Thérèse n’avait que 14 ans quand, lors d’un pèlerinage à Rome, elle comprit sa vocation de mère spirituelle pour les prêtres. Dans son autobiographie, elle écrit comment, après avoir connu de nombreux saints prêtres en Italie, elle a également compris que, malgré leur dignité sublime, ils sont restés des hommes faibles et fragiles. « Vivons pour les âmes… soyons des apôtres… sauvons surtout les âmes des prêtres… Prions, souffrons pour eux, et au dernier jour Jésus sera reconnaissant… »

Quand sainte Thérèse était déjà très malade et marchait avec grande fatigue, son médecin lui ordonna de faire une promenade quotidienne dans le jardin. Bien qu’elle ne crût pas que cet exercice pût lui apporter quelque bénéfice, elle l’accomplissait chaque jour. Une fois, une de ses sœurs qui l’accompagnait, voyant la grande souffrance causée par cette marche, lui dit : « Vous feriez bien mieux de vous reposer, cette promenade ne peut vous faire aucun bien dans de pareilles conditions : vous vous épuisez et c’est tout. » Thérèse répondit : « C’est vrai, mais savez-vous ce qui me donne des forces ? Eh bien, je marche pour un missionnaire. Je pense que là-bas, bien loin, l’un d’eux est peut-être épuisé dans ses courses apostoliques, et, pour diminuer ses fatigues, j’offre les miennes au bon Dieu. »

Ceci est la communion des saints, qui relie tous les chrétiens par un lien surnaturel qui a la famille comme premier modèle.

L’idée naturelle et divine de la famille

Il est impossible de réformer la société et l’Église sans sainteté. Mais il n’y a pas de sainteté possible sans un modèle auquel nous puissions nous référer.

Au cours des cinquante dernières années, la crise de la famille a pris des dimensions effrayantes. Ce qui rend la situation encore plus grave, c’est que les attaques contre la famille ne viennent pas seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur de l’Église. Mais le premier remède est indiqué par Pie XI dans Casti Connubii : méditer sur l’idée divine du mariage et, avec l’aide de Dieu, vivre en conformité avec cette idée. La famille chrétienne d’aujourd’hui a surtout besoin d’être définie parce qu’on ne peut ni aimer ni vivre, ce qu’on ne connaît pas. Pie XI rappelle une maxime de philosophie saine et de théologie sacrée : « pour ramener à son état primitif et conforme à sa nature une chose, quelle qu’elle soit, qui en a dévié, il est indispensable de revenir à l’idée divine qui (comme l’enseigne le Docteur Angélique), est le modèle de toute rectitude. » 16 « Il faut donc, pour rétablir dans le mariage l’ordre normal, que tous méditent la pensée divine sur ce sujet et s’efforcent de s’y conformer. » [17]

Selon le dessein divin, la famille est une société, fondée sur le mariage, qui unit indissolublement un homme et une femme dans le but de la procréation et de l’éducation des enfants.

C’est cette image de la famille qu’il faut recouvrer selon Pie XI, « il faut avant tout recouvrer l’idée naturelle et divine de la famille comme modèle permanent et stable qui ne change, même pas au cours des siècles ; un modèle qui peut subir des éclipses et connaître des crises, mais qui possède une perfection intrinsèque. »*

Sinon, nous sommes forcés de céder au relativisme en matière de famille, du soi-disant « mariage homosexuel » à la polygamie qui, à bien des égards, semble être le destin final de l’Occident.

Famille et tradition

À une époque, le mot « famille » dans la société traditionnelle ne signifiait pas seulement le père, la mère et les enfants, comme c’est le cas aujourd’hui, mais tous les descendants d’un même ancêtre ainsi que les futurs enfants.

Mgr Louis Isoard (1820-1901), évêque d’Annecy, raconte un épisode qui nous fait comprendre comment était la vie dans la France de l’Ancien régime. C’est une conversation entre un prince de la famille royale et un de ses paysans. Le fermier, regardant le prince, lui dit : « En décembre dernier cela fait 347 ans que nous sommes sous votre patronage. »* Le prince lui répondit : « Nous étions ici avant vous ; je ne connais pas le nombre d’années exact, mais je sais seulement que cela fait plus de six cents ans. »* Et Mgr Isoard de commenter : « Voici deux hommes en qui le sens de la Tradition n’était pas encore déformé. »*

Qu’est-ce le sens de la Tradition ?

Chacun de nous, affirme l’évêque français, vit, ou devrait vivre, trois existences différentes dans sa propre vie unique. [18] Nous devrions avoir le sentiment d’avoir déjà vécu non seulement dans nos parents, mais aussi dans nos grands-parents et arrière-grands-parents. La vie de nos ancêtres, que nous ne connaissons pas toujours, mais dont nos parents nous ont parlé représente la première vie que nous n’avons pas vécue, mais que nous devrions revivre.

Il y a une seconde vie, qui est notre vie actuelle, la vie de chaque jour et du moment présent, qui en réalité n’est que la floraison ou le rayonnement de la première vie. Je continue le travail de mon arrière-grand-père, je remplis sa pensée, je fais ce qu’il voulait faire, corrige ses erreurs, développe ses vertus, prolonge son action dans ce monde.

Ensuite, il y a une troisième vie, qui est celle qui est projetée dans l’avenir. C’est la vie de mes enfants et de mes petits-enfants, de ceux que je connais et de ceux qui sont encore à venir. Nous ne vivons pas seulement dans nos ancêtres, mais aussi dans nos enfants, nos petits-enfants et arrière-petits-enfants. Nous nous sacrifions pour eux. Notre famille est au centre de plusieurs générations. La vie de la famille est semblable à celle de l’Église, qui correspond à la Tradition.

La Tradition est la foi de l’Église que les papes ont maintenue et transmise au cours des siècles ; c’est le développement ordonné, dans le temps, d’un principe ou d’un noyau de principes qui, en tant que tels, sont immuables. En temps de crise, la règle est celle de Benoît XV, qui dans son encyclique Ad beatissimi Apostolorum Principis du 1er novembre 1914, déclara contre les modernistes : « Nous voulons donc que reste sacrée cette règle de nos pères : Nihil innovetur, nisi quod traditum est » (Qu’il n’y ait pas d’innovation allant au-delà de ce qui a été transmis)*. [19]

La tradition est l’élément vivant et immuable de la société. La tradition est ce qui est stable dans le déroulement éternel des choses, c’est ce qui est immuable dans un monde qui change, et c’est le cas parce qu’il contient en soi un reflet de l’éternité. Et la famille est le dépôt de la Tradition dans la société.

Le prophète Jérémie se tourne ainsi vers Dieu dans le Livre des lamentations : « Converte nos Domine ad te et convertemur ; innova dies nostros sicut a principio » (Fais-nous revenir à toi, Yahvé, et nous reviendrons. Renouvelle nos jours comme autrefois). [20]

Une véritable réforme de la société est toujours un retour à la perfection du commencement. La tradition n’est rien d’autre que ceci : la fidélité aux principes originaux, sur lesquels tout le reste est dirigé, desquels tout découle. Nous sommes des hommes et des femmes qui, vivant dans cette ère de confusion, lèvent les yeux vers Dieu comme Jérémie, à la recherche des principes immuables sur lesquels construire la vie des hommes et de la société. Nous défendons la famille parce que nous défendons avant tout les principes que la famille préserve et transmet. Mais ces principes sont gardés par l’Église. Aujourd’hui, l’Église est attaquée et nous, ses enfants, nous nous battons pour la défendre, parce qu’elle est la première et la plus noble des Mères.

Et c’est dans cette perspective que nous méditons sur les paroles de sœur Lucie avec lesquelles nous avons commencé, et avec lesquelles nous conclurons :

Père, il viendra un moment où la bataille finale entre le Seigneur et le royaume de Satan portera sur le mariage et la famille, et ceux qui travaillent pour le bien de la famille connaîtront la persécution et les tribulations. Mais, il n’y a rien à craindre, parce que Notre Dame a déjà écrasé sa tête. *

C’est ce que la Madone a promis à Fatima, et nous, avec une immense foi, nous le croyons.

Notes :

[1] Pie XII, Discours du 20 février 1946.*

[2] Pie XII, Message radio aux familles françaises, 17 juin 1945.*

[3] Cicero, De Officiis, I, 54.

[4] Régine Pernoud, Lumières du Moyen Âge, Grasset, Paris 1981, p. 10.

[5] Pie XI, Encyclique Casti connubi du 31 décembre 1930.

[6] St Augustin, De nuptiis et concupiscentia, II ; Patrologia Latina 44, 421 ; De bono coniugali, 24, 32 ; ibid. 40, 394.

[7] Friedrich Engels, L’origine della famiglia, della proprietà privata e dello Stato, Editori Riuniti, Rome 1970, p. 103.

[8] David Cooper, The Death of the Family, Penguin, New York-Londres 1971.

[[9] Roger Kimball, The Long March: How the Cultural Revolution of the 1960s Changed America, Encounter Books, 2001.

[10] José Antonio Ureta, Pope Francis’s « Paradigm Shift ». Continuity or Rupture in the Mission of the Church?, The American Society for the Defense of Tradition, Family and Property, Spring Grove, PA, 2018.

[11] Cf. Giovanni Codevilla, Dalla Rivoluzione bolscevica alla Federazione Russa, Franco Angeli, Rome 1996.

[12] Gregory Carleton, The Sexual Revolution in Russia, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2005.

[13] Monsignor Henri Delassus, Il problema dell’ora presente. Antagonismo tra due civiltà, Desclée, Rome 1907, vol. II, p. 546.

[14] Ibid, p. 580.

[15] Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses ; Harmonie poétique, III, 9.

[16] Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, 1a-2ae, q. 91, a. 1-2.

Pie XII, Encyclique Casti Connubii, cit.

[18] Cit. de Monseigneur Henri Delassus, Il problema dell'ora presente, vol. II, p. 541 à 542.

[19] Saint Étienne Ier, Lettre à saint Cyprien, dans Denz-H, n. 110. 4. — A. H.

[20] Lamentations 5 : 21.


*Ces citations ou ces titres ont été traduits à partir du texte, je n’ai malheureusement pas pu trouver le texte original, y compris quand il était en français.

**Ceci étant mon interprétation, selon mes recherches et ma faible connaissance du latin. — A .H.



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