Par Matthew McCusker — Traduit par Campagne Québec-Vie — Photo : Josh Scholten/Adobe Stock
Ce qui suit est la dixième partie d’une série de textes défendant les affirmations de l’Église catholique. Lisez la première partie ici, la deuxième partie ici, la troisième partie ici, la quatrième partie ici, la cinquième partie ici, la sixième partie ici, la septième partie ici, la huitième partie ici et la neuvième partie ici.
« La vérité est ce que l’esprit recherche, la vérité est ce que l’esprit désire, et l’esprit est fait pour la vérité. Et la quête de la vérité, jusque dans ses derniers fondements, est une quête philosophique ». [1] Mgr Paul Glenn
1er mai 2024 (LifeSiteNews) — Dans l’article précédent, nous avons vu qu’une véritable philosophie est possible parce que l’homme est capable d’atteindre des conclusions vraies sur des réalités qui dépassent l’emprise directe des sens.
Dans cet article, nous verrons comment la philosophie trouve son origine dans la nature humaine, c’est-à-dire dans notre désir naturel de connaissance et dans le sentiment d’émerveillement que nous éprouvons lorsque nous contemplons le monde qui nous entoure.
L’homme désire connaître par nature
Aristote commence sa Métaphysique par une affirmation simple :
Tous les hommes, par nature, désirent savoir. [2]
Chez l’homme, le désir naturel de connaître découle de sa possession d’une âme intellectuelle. L’intellect est fait pour la connaissance et la recherche. En effet, la fin ultime de l’homme est la connaissance : la connaissance immédiate de Dieu dans la vision béatifique du Ciel. En voyant Dieu, les créatures intellectuelles — hommes et anges — connaissent le bonheur parfait.
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Mû par le désir de connaître, l’homme cherche à comprendre toujours plus profondément le monde qui l’entoure. Sa quête de la vérité a été décrite avec éloquence par Mgr Paul Glenn :
La philosophie, la quête amoureuse de la sagesse, la poursuite inlassable de la connaissance jusqu’à ses origines et ses racines les plus profondes, naît avant tout parce que l’esprit humain cherche toujours à savoir, et à saisir le comment et le pourquoi ultimes de ce qu’il sait.
L’homme a une soif inextinguible de connaissance. Il ne s’agit pas non plus d’un désir de simples données, de faits et d’événements, mais d’un désir de données accompagnées de leurs explications, de leurs justifications, de leurs évidences, de leurs preuves. Et si une preuve ou une explication n’est pas en soi une réalité évidente et incontournable, l’esprit cherche la preuve de cette preuve. Ainsi, la recherche d’une connaissance solide et fiable — de la vérité, en un mot — se poursuit, ou tend naturellement à se poursuivre vers l’accomplissement.
L’esprit prouve la vérité par la vérité ; il maintient les vérités en relations et connexions ; il creuse profondément pour unifier et clarifier ses découvertes dans une compréhension ultime.
L’homme est donc, par nature, philosophe. [3]
La relation entre l’émerveillement et la philosophie
Le désir de savoir est évident chez les êtres humains dès les premières semaines de leur vie.
Les bébés et les enfants manifestent de plus en plus d’intérêt et de curiosité pour le monde qui les entoure au fur et à mesure qu’ils grandissent, explorant et posant des questions dès qu’ils en sont capables. Ils s’émerveillent naturellement du monde qu’ils rencontrent. Cet émerveillement, qui se poursuit à l’âge adulte, est à la base de la pensée philosophique.
Dans le dialogue Théétète de Platon, Socrate remarque :
« L’émerveillement est le sentiment du philosophe, et la philosophie commence par l’émerveillement ». [4]
La philosophie naît de la contemplation émerveillée des réalités du monde. L’homme observe les phénomènes de la nature et veut les comprendre, non seulement parce que cette connaissance lui est utile, mais parce qu’il veut vraiment connaître la vérité sur les choses qu’il observe.
Immédiatement après sa célèbre déclaration selon laquelle tous les hommes désirent par nature savoir, Aristote affirme :
Un indice en est le plaisir que nous prenons à nos sens ; car, même en dehors de leur utilité, ils sont aimés pour eux-mêmes, et avant tout le sens de la vue. En effet, non seulement en vue de l’action, mais même lorsque nous n’allons rien faire, nous préférons la vue (pourrait-on dire) à tout le reste. [5]
Lorsque nous nous asseyons au bord de la mer et que nous regardons les vagues se fracasser sur les rochers, ou lorsque nous nous tenons près de la fenêtre et que nous observons le lever du soleil, nous prenons simplement plaisir à l’exercice de nos sens et à la contemplation de la création. Cette contemplation nous amène à poser des questions de plus en plus profondes.
Plus tard, dans Métaphysique, Aristote commente :
C’est en raison de leur étonnement que les hommes commencent et ont commencé à philosopher ; ils se sont d’abord étonnés des difficultés évidentes, puis ils ont avancé peu à peu et ont énoncé des difficultés sur des sujets plus importants, par exemple sur les phénomènes de la lune et ceux du soleil et des étoiles, et sur la genèse de l’univers.
L’homme recherche ces connaissances parce qu’il veut la vérité :
L’homme qui s’étonne et s’interroge se croit ignorant... Donc, puisqu’ils ont philosophé pour sortir de l’ignorance, il est évident qu’ils recherchaient la science pour savoir, et non pour une fin utilitaire.
La recherche de la connaissance exige un certain degré de loisir et de liberté par rapport aux nécessités urgentes :
Les faits le confirment, car c’est lorsque presque toutes les nécessités de la vie et les choses qui assurent le confort et les loisirs ont été assurées, que l’on a commencé à chercher à acquérir de telles connaissances.
La connaissance n’est pas recherchée pour répondre à des besoins immédiats ou à un bien-être temporel :
Il est donc évident que nous ne la recherchons pas en vue d’un autre avantage ; mais comme l’homme est libre, disons-nous, qu’il existe pour son propre compte et non pour celui d’autrui, nous la poursuivons comme la seule science libre, car elle seule existe pour son propre compte. [6]
Dans l’un des fragments qui subsistent du Protreptique, un ouvrage écrit par Aristote pour encourager l’étude de la philosophie, il affirme que :
Il n’est pas du tout étrange que la sagesse philosophique semble à première vue dépourvue d’utilité pratique immédiate et qu’en fait, elle ne se révèle pas toujours avantageuse. En effet, nous n’appelons pas la sagesse philosophique un avantage au sens pratique du terme, mais un bien. Elle ne doit pas être poursuivie en vue de quelque chose d’autre, mais exclusivement en vue d’elle-même. [7]
Dans ce texte, Aristote présente Pythagore (vers 570 - vers 495 av. J.-C.) — que nous connaissons mieux pour son célèbre théorème sur les triangles rectangles — comme un philosophe antérieur qui considérait lui aussi que la philosophie trouvait son origine dans l’émerveillement du monde créé.
À la question de savoir pourquoi Dieu a créé l’humanité, Pythagore aurait répondu :
Pour contempler les cieux.
Et, écrit Aristote, « il ajouta qu’il était un spectateur de la nature et qu’il était venu dans cette vie dans ce but précis ». [8]
Une tradition veut que ce soit Pythagore qui ait inventé le terme « philosophe » qui, comme nous l’avons vu dans un article précédent, signifie « amoureux de la sagesse ». Le philosophe romain Cicéron présente Pythagore comme prononçant ce discours :
La vie d’un homme ressemble à une grande fête... Lors de cette fête, certains cherchent à obtenir la glorieuse distinction de la couronne ; d’autres, encore, sont attirés par la perspective d’un gain matériel par le biais de l’achat et de la vente.
Mais il y avait aussi un certain type de personnes, et c’était tout à fait le meilleur type d’hommes, qui n’étaient intéressés ni par la compétition, ni par les applaudissements, ni par la recherche du gain, mais qui venaient uniquement pour le but du spectacle lui-même, et qui, par conséquent, regardaient attentivement ce qui était fait et comment cela était fait.
Les meilleurs hommes, suggèrent Cicéron et Pythagore, sont ceux qui viennent dans cette vie non pas pour en tirer un profit personnel, mais « uniquement pour le spectacle lui-même », c’est-à-dire la contemplation émerveillée de la réalité. Le discours se poursuit :
C’est ainsi que nous sommes entrés dans cette vie, comme si nous étions venus d’une ville à une fête bondée, quittant de la même manière une autre vie et une autre nature d’être. Et certains ont été esclaves de l’ambition, et d’autres de l’argent.
Mais il y avait un petit nombre de personnes qui, ne tenant compte de rien d’autre, examinaient attentivement la nature des choses.
Ils se sont donné le nom de « philosophes »... Et de même que, lors de ces fêtes, les hommes de la plus haute éducation regardaient sans aucune intention intéressée, de même, dans la vie, la contemplation sereine des choses et leur appréhension ou compréhension rationnelle surpassent de loin toutes les autres activités. [9]
L’usage le plus élevé des facultés naturelles de l’homme est la contemplation du monde créé et son appréhension rationnelle. À partir de cette appréhension, l’intellect humain s’élève de la connaissance des choses créées à la connaissance du Créateur.
La relation entre la contemplation du monde créé et l’élévation de l’âme pour adorer Dieu était claire pour Aristote.
Un fragment de l’ouvrage perdu d’Aristote sur la philosophie, conservé par le philosophe juif Philon d’Alexandrie, parle de cet être ultime et suprême :
Si certains, par leur savoir philosophique, ont pu accéder à la compréhension de l’auteur et du gouverneur de tout l’univers, ils procèdent en fait du plus humble au plus élevé
[...]
En effet, lorsqu’ils entrent dans ce monde comme dans une cité régie par la bonne loi, et qu’ils contemplent la terre si délicieusement ceinturée de montagnes et de plaines étendues, parsemées d’arbustes, d’arbres et de plantes fruitiers, ainsi que d’animaux de toutes sortes, et qu’ils voient en différents endroits les océans, les rivières et les fleuves, ils se rendent compte qu’ils sont les seuls à pouvoir les atteindre, en observant en divers endroits les océans et les lacs, les nombreux ruisseaux tranquilles et les torrents impétueux, ainsi que la douceur de l’air et des vents et les changements annuels ordonnés des saisons, et par-dessus tout le soleil et la lune, les planètes et les étoiles fixes, et les cieux dans leur ensemble ordonné et discipliné.
[...]
À la vue de tout cela, ils sont saisis d’un grand étonnement et d’une grande crainte, et ils arrivent à la conclusion qui s’accorde parfaitement avec ces manifestations grandioses, à savoir qu’un ordre aussi sublime ne peut être le résultat d’un simple accident, mais qu’il doit être l’œuvre délibérée d’un [merveilleux] artisan, le Créateur de cet univers. [10]
Aristote soutient donc que l’existence de Dieu peut être connue par l’homme, comme une cause est connue à partir de ses effets, par la contemplation des choses qui ont été faites.
Dans un autre texte de Philon d’Alexandrie, considéré lui aussi comme un fragment d’Aristote, cette conclusion est clairement énoncée :
Les premiers philosophes ont cherché à savoir comment nous parvenons à formuler le concept du Divin... Ils ont affirmé que nous étions parvenus à comprendre la cause de l’univers.
[...]
Pour ne citer qu’un exemple : Lorsque nous contemplons une maison parfaitement construite... nous arrivons à la conclusion que sans... un architecte, la construction de cette maison n’aurait pas pu être menée à bien.
[...]
De même, si nous entrions dans ce monde comme on entre dans une maison gigantesque ou dans une ville immense, et si nous contemplions les cieux qui tournent dans des sphères parfaites englobant tout, y compris les planètes et les étoiles fixes qui se meuvent harmonieusement et uniformément selon une loi de symétrie et d’harmonie parfaite et d’une manière qui profite à tout l’univers, et si nous contemplions la terre [...], les eaux courantes et l’air qui est entre le ciel et la terre ; et, en outre, si nous percevions les créatures animées [...] et la grande variété de plantes et de fruits [...] — si l’on contemplait tout cela, il faudrait en déduire que ces choses merveilleuses n’ont pu se produire sans un art parfait et un dessein grandiose, et qu’il existait, et existe encore, un Artisan de tout cet univers, c’est-à-dire, Dieu.
Ceux qui raisonnent de cette manière conçoivent en fait Dieu à travers son ombre, en ce sens qu’ils acquièrent une connaissance de l’Artisan à travers son œuvre. [11]
Ainsi, nous voyons qu’à partir de son désir naturel de savoir, l’homme poursuit une connaissance de plus en plus profonde, jusqu’à ce qu’il atteigne la connaissance de la cause première et ultime de tout être : Dieu.
Tous les hommes ne s’adonnent pas à la philosophie
Le penchant naturel de l’homme pour la recherche de la connaissance fait que toute société humaine est, dans une certaine mesure, philosophique. Mais tout le monde ne cherche pas à atteindre les niveaux de connaissance les plus profonds dont l’intellect humain est capable.
Il peut y avoir de nombreuses raisons à cela, en particulier la difficulté de vivre dans un monde déchu. Les hommes et les femmes sont accablés par la nécessité de gagner leur pain quotidien, car « c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre » (Genèse 3,17). Nous sommes assaillis par la douleur, la perte, le chagrin, la pauvreté et d’autres formes de souffrance.
D’autres parmi nous se laissent distraire par des plaisirs superficiels et des distractions qui éloignent l’esprit de la contemplation de la réalité.
L’homme moderne a souvent beaucoup de mal à envisager la poursuite d’une fin en soi et non dans un but pratique, comme gagner de l’argent ou même servir le bien public. Nous avons tendance à considérer que les activités intellectuelles qui n’ont pour but que la connaissance sont en quelque sorte égoïstes ou inefficaces.
Cela contraste avec le fait que les gens passent en fait beaucoup de temps à des activités superficielles, comme les heures passées à parcourir les médias sociaux ou les journées perdues à jouer à des jeux vidéo.
Bien entendu, le fait d’être distrait par des choses superficielles est un problème auquel les hommes ont été confrontés à travers les âges.
Aristote lui-même note l’absurdité des gens qui dépensent du temps et de l’argent pour des activités de peu de valeur, tout en négligeant la merveilleuse contemplation de la réalité.
Dans le Protreptique, il écrit :
En effet, de même que nous nous rendons aux jeux d’Olympie pour le spectacle lui-même — car le spectacle en tant que tel vaut plus que « beaucoup d’argent » —, de même que nous assistons aux Dionysies non pas pour tirer un profit matériel des acteurs — en fait, nous dépensons de l’argent pour eux —, de même qu’il y a bien d’autres spectacles que nous devrions préférer aux grandes richesses : de même la vue et la contemplation de l’univers doivent être appréciées au-dessus de toutes les autres choses communément considérées comme utiles dans un sens pratique.
Car, très certainement, il ne serait pas logique de regarder des hommes imiter des femmes ou des esclaves, ou se battre ou courir, mais de ne pas juger convenable de regarder ou de contempler, libres de toute charge, la nature et la vraie réalité de tout ce qui existe. [12]
Pourtant, plus de deux mille ans plus tard, l’humanité tombe dans le même piège.
Nous devons de toute façon continuer à rechercher la vérité
L’échec du plus grand nombre dans la recherche de la vérité ne doit pas nous décourager dans notre propre quête.
Mgr Glenn, écrivant au début des années 1940, nous a exhortés à poursuivre notre chemin, malgré l’indifférence ou l’hostilité de la société dans laquelle nous vivons :
Nous n’avons pas besoin de nous arrêter et de discuter avec les ineptes, les paresseux et les peu curieux. Notre affirmation selon laquelle l’esprit humain est naturellement philosophique dans ses efforts est manifestement vraie pour l’esprit dans ce qu’il a de meilleur. Que certains esprits soient mal orientés et dépensent mal leurs énergies ; que certains soient contrariés par l’incapacité ; que certains se lassent rapidement dans la quête de la vérité — ces faits ne sont en aucun cas un argument contre la tendance native de l’esprit humain à rechercher la vérité ultime.
Il poursuit :
Il y a une explication au fait que de nombreux êtres humains ne cherchent pas les causes et les raisons ultimes, ne réalisent pas ou ne se préoccupent pas du sens de l’existence, et se contentent de la deuxième ou de la troisième meilleure explication du monde qui les entoure, de la vie, du devoir, de l’effort.
Il y a une explication, et une seule. C’est le fait que quelque chose, dans les origines de l’humanité, a mal tourné avec l’homme ; quelque chose a blessé son esprit, l’assombrissant et le rendant sujet à des lassitudes soudaines, prêt à abandonner son effort sous la pression d’un travail exigeant.
Le nom de ce fait est le péché originel. [13]
Dans la prochaine partie, nous reprendrons l’histoire de la philosophie avec la chute de l’homme et la révélation primitive confiée à l’homme par Dieu.
Références
[1] Mgr Paul Glenn, Introduction to Philosophy, (St. Louis, 1944), p.28.
[2] Aristote, Métaphysique, livre I, partie I.
[3] Glenn, Introduction, p.27.
[4] Platon, Théétète.
[5] Aristote, Métaphysique, I.I.
[6] Aristote, Métaphysique, I.II.
[7] Cité dans Anton-Hermann Chroust, « Philosophy Starts in Wonder », Divus Thomas, 1972, Vol. 75, No. 1 (1972), p.57.
[8] Chroust, « Wonder », p.57.
[9] Chroust, « Wonder », p.58.
[10] Chroust, « Wonder », p.60.
[11] Chroust, « Wonder », p.60-61.
[12] Chroust, « Wonder », p.57.
[13] Glenn, Introduction, p.29.
Les articles de la série :
- Série sur la philosophie catholique — les étapes
- Dieu existe. Mais son existence est-elle évidente en elle-même ?
- Est-il possible de prouver l’existence de Dieu ?
- L'existence de Dieu peut être connue à la lumière de la raison naturelle
- Sans Dieu, rien d’autre ne peut exister
- Les êtres créés ne peuvent pas être à l’origine de la création — seul Dieu peut l’être
- L’Église catholique enseigne que les hommes peuvent connaître l’existence de Dieu par la seule raison
- La philosophie scholastique
- Nietzsche et Kant ne vous mèneront pas à la vérité — c’est la philosophie scolastique qui le fera
- Les merveilles de la création nous conduisent à Dieu
- La révélation et les cheminements de la philosophie
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