Allégorie de la Philosophie, Cathédrale de Laon.
Par Matthew McCusker — Traduit par Campagne Québec-Vie — Photo : Wikimedia Commons
23 avril 2024 (LifeSiteNews) — Dans la partie précédente de cette série nous avons exploré comment l’Église catholique a constamment défendu la capacité de la raison humaine à atteindre une certaine connaissance des réalités au-delà de l’appréhension directe des sens. Cela inclut la connaissance de l’existence de Dieu et de certains attributs de sa nature.
L’Église a fermement défendu cette vérité et condamné les erreurs contraires, en opposition aux philosophies erronées qui se sont de plus en plus emparées de l’esprit occidental depuis le dix-huitième siècle.
Mais l’Église ne s’est pas contentée de condamner seulement l’erreur, ni même de proposer définitivement la vérité. Elle a aussi cherché inlassablement à rajeunir la vie intellectuelle de l’Église et à rappeler l’humanité aux vrais principes de raisonnement et de connaissance qu’elle a préservés.
Dans la poursuite de cet objectif, elle a défendu et promu l’approche de la philosophie et de la théologie des scolastiques, et en particulier la doctrine et la méthodologie de saint Thomas d’Aquin (c. 1225-1274).
Dans cette nouvelle série d’articles, défendant les affirmations de l'Église catholique, nous retracerons l’essor de la philosophie scolastique, son déclin dévastateur, sa renaissance sous la direction du Saint-Siège et, enfin, son statut dans l’Église d’aujourd’hui.
Ceci est d’une importance cruciale car c’est cette philosophie, toujours ancienne et toujours nouvelle, qui nous fournit les moyens de résoudre bon nombre des questions les plus pressantes de notre monde actuel.
L’un des principaux besoins de l’homme moderne est de retrouver la vérité sur l’existence de Dieu et sur sa nature. La vraie philosophie nous fournit donc un fondement important pour le retour du monde à Jésus-Christ et à l’Église qu’il a fondée.
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Qu’est-ce que la philosophie ?
Avant d’aborder l’essor de la philosophie scolastique, il convient de déterminer ce qu’est la philosophie.
Le mot philosophie vient de deux mots grecs : philia, qui signifie amour, et sophia, qui signifie sagesse. La philosophie peut donc être décrite comme l’amour de la sagesse, et le philosophe comme un amoureux de la sagesse. C’est ce qu’on appelle la définition nominale, en ce sens qu’elle est dérivée du nom de la chose.
Il existe cependant une définition réelle de la philosophie. La définition réelle d’une chose est celle qui la distingue de toutes les autres et qui nous dit donc le plus précisément ce qu’elle est.
La définition réelle de la philosophie est généralement exprimée de la manière suivante : « la science de toutes les choses que l’homme peut naturellement connaître sans aide, dans la mesure où ces choses sont étudiées dans leurs causes et leurs raisons les plus profondes ». [1]
Examinons cette définition plus en détail.
Qu’est-ce qu’une science ?
Une science est un ensemble de faits liés entre eux, exposés systématiquement avec leurs causes et leurs raisons.
Toute science a deux types d’objet : matériel et formel. L’objet matériel est la matière étudiée et l’objet formel est son objectif et son approche par rapport à cette matière.
Nous avons déjà rencontré cette distinction importante dans un article précédent. Nous avons vu que la théologie naturelle et la théologie sacrée étudient toutes deux ce que l’on peut connaître de Dieu, ce qui signifie qu’elles ont le même objet matériel, mais qu’elles le font à partir de perspectives différentes, c’est-à-dire qu’elles ont des objets formels différents. La théologie naturelle aborde Dieu à la lumière naturelle de la raison humaine, et la théologie sacrée à la lumière de la révélation divine.
La physiologie et la médecine sont un autre exemple de deux sciences partageant le même objet matériel, mais différant par leur objet formel. La physiologie étudie le corps humain afin de connaître son fonctionnement, tandis que la médecine étudie le corps humain afin de savoir comment maintenir ou restaurer son fonctionnement.
Chaque science a ses propres objets matériels et formels. Et nous ne devons pas limiter le nom de science aux sciences empiriques. D’autres corpus de connaissances, tels que l’histoire, le droit et la philosophie, sont tout aussi scientifiques et ont chacun leur propre méthodologie pour établir les causes et les raisons des données qu’ils étudient.
Quel est l’objet de la philosophie ?
L’objet matériel de la philosophie est la totalité de la réalité.
L’objet formel de la philosophie est constitué par les causes et les raisons ultimes, ou les plus profondes, de cette réalité totale, telles qu’elles peuvent être connues par l’homme à la lumière de la raison naturelle.
Nous avons rencontré à plusieurs reprises les mots cause et raison, il est donc important de bien comprendre ce que l’on entend par là dans ce contexte.
Une cause, comme nous l’avons vu dans un article précédent, est tout ce qui contribue d’une manière ou d’une autre à la production d’un effet.
Une raison est tout ce qui permet d’expliquer une réalité.
Une cause contribue à l’être ou au devenir d’une réalité ; une raison contribue à la compréhension de la réalité par une personne.
Le but de la philosophie est d’explorer les causes ultimes du monde dont nous faisons l’expérience et de comprendre aussi profondément que possible pourquoi il est tel qu’il est.
Les sciences inférieures explorent les causes et les raisons propres à leur domaine limité. La philosophie abstrait ensuite [un ou plusieurs éléments] de ces résultats et pose les questions ultimes sur les raisons pour lesquelles les choses sont ce qu’elles sont.
Le cardinal Désiré-Joseph Mercier donne un résumé utile et concis de ce qu’est la philosophie. Il écrit :
La philosophie est la science de la totalité des choses. Les sciences particulières s’adressent à des groupes ou à des objets plus ou moins restreints : la philosophie, science générale, concerne la totalité de la réalité.
La philosophie est la science des choses par leurs raisons les plus simples et les plus générales, ou encore par leurs causes les plus étendues. [2]
Les subdivisions de la philosophie
Ce qui vient d’être dit deviendra plus clair si nous le considérons dans le contexte des sept subdivisions classiques de la philosophie scolastique.
Nous pouvons expliquer ces subdivisions comme suit :
- Cosmologie — les causes et les raisons ultimes des corps non vivants
- Psychologie — les causes et raisons ultimes des corps vivants
- Ontologie — les causes et les raisons ultimes de l’être réel non matériel
- Théologie naturelle — la cause ultime de l’être et ses raisons
- Dialectique — les causes ultimes et les raisons du raisonnement humain
- Critériologie — les causes et les raisons ultimes de la connaissance et de la certitude humaines
- L’éthique — les causes et les raisons ultimes des actes libres de la volonté humaine.
Ce sont les sept disciplines ultimes ; elles cherchent à répondre aux questions les plus profondes que l’homme peut se poser par sa raison naturelle.
Lorsque l’homme commence à chercher à comprendre les causes et les raisons profondes du monde qui l’entoure, il doit nécessairement chercher à comprendre les êtres physiques dont il fait l’expérience, qu’ils soient non vivants (cosmologie) ou vivants (psychologie). C’est la subdivision de la philosophie appelée Physique.
Ces réflexions l’amènent à s’interroger sur la nature de l’être lui-même, abstraite des corps (Ontologie) et sur la cause première de l’être (Théologie naturelle). C’est la subdivision de la philosophie appelée Métaphysique.
Cependant, à elles seules, ces disciplines ne permettent pas à l’homme d’accéder à la compréhension ultime. L’homme doit également se demander comment il parvient à la connaissance et comment il sait que ce qu’il croit savoir est vrai. L’homme doit donc chercher à comprendre son propre processus de raisonnement (dialectique) et la nature de sa connaissance et de sa certitude (critériologie). C’est la subdivision de la philosophie appelée Logique.
Enfin, l’homme étant doté non seulement d’un intellect, mais aussi d’une volonté, il doit comprendre comment il doit finalement agir. C’est la subdivision de la philosophie appelée Éthique.
La physique, la métaphysique, la logique et l’éthique constituent ensemble la science de la philosophie.
Ces disciplines, prises ensemble, explorent les causes et les raisons les plus profondes, les plus ultimes, de l’homme et du monde qui l’entoure.
Une seule science est plus grande, plus profonde, plus ultime, plus impressionnante, et c’est la science sacrée de la théologie, qui est basée sur des principes directement révélés par Dieu.
Dans le prochain article, nous examinerons les origines de la science philosophique.
Références
[1] Mgr Paul Glenn, Introduction to Philosophy, (St. Louis, 1944), p.3.
[2] Cardinal Désiré-Joseph Mercier, A Manual of Modern Scholastic Philosophy, Vol. I, p.9.
Les articles de la série :
- Série sur la philosophie catholique — les étapes
- Dieu existe. Mais son existence est-elle évidente en elle-même ?
- Est-il possible de prouver l’existence de Dieu ?
- L'existence de Dieu peut être connue à la lumière de la raison naturelle
- Sans Dieu, rien d’autre ne peut exister
- Les êtres créés ne peuvent pas être à l’origine de la création — seul Dieu peut l’être
- L’Église catholique enseigne que les hommes peuvent connaître l’existence de Dieu par la seule raison
- La philosophie scholastique
- Nietzsche et Kant ne vous mèneront pas à la vérité — c’est la philosophie scolastique qui le fera
- Les merveilles de la création nous conduisent à Dieu
- La révélation et les cheminements de la philosophie