Par Matthew McCusker — Traduit par Campagne Québec-Vie — Photo : Wikimedia Commons
1er février 2024 (LifeSiteNews) — L’introduction de cette série a exposé le processus par lequel l’esprit humain peut étape par étape arriver à la connaissance certaine que tout ce qui est proposé à notre croyance par l’autorité enseignante de l’Église catholique est vrai.
La première étape de ce processus consiste à savoir que Dieu existe grâce à la connaissance que nos sens acquièrent du monde qui nous entoure. C’est l’étape dont parle saint Paul dans son épître aux Romains :
En effet, ses perfections invisibles sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que ses œuvres en donnent; de même sa puissance éternelle et sa divinité. (Rm 1,20)
Certains philosophes ont considéré que l’existence de Dieu est tellement « évidente » qu’elle va de soi. D’autres soutiennent que l’existence de Dieu doit être démontrée par des arguments philosophiques.
Si l’existence de Dieu est évidente en elle-même, il est inutile d’essayer de la démontrer par l’argumentation.
Par conséquent, nous devons commencer par nous demander si l’existence de Dieu est en fait évidente en elle-même.
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Qu’est-ce que Dieu ?
Lorsque nous posons la question « Dieu existe-t-il ? », nous présumons que le mot « Dieu » a une signification communément acceptée. Si ce n’est pas le cas, aucune discussion utile sur la question ne peut avoir lieu.
La plupart des gens, qu’ils reconnaissent ou non son existence, comprennent que le mot « Dieu » désigne un être suprême qui a créé l’univers et le gouverne.
Le dictionnaire Merriam-Webster, par exemple, donne la définition suivante du mot « Dieu » :
La réalité suprême ou ultime; par exemple : l’Être parfait en puissance, en sagesse et en bonté qui est vénéré (comme dans le judaïsme, le christianisme, l’islam et l’hindouisme) en tant que créateur et maître de l’univers.
Cette idée de Dieu est pratiquement universelle dans l’histoire de l’humanité. Les religions monothéistes expriment cette idée le plus clairement, mais les religions polythéistes conservent souvent la croyance en un Dieu suprême qui se cache derrière les autres dieux, et souvent l’un des nombreux dieux possède certaines caractéristiques d’un dieu suprême. Les religions panthéistes voient en la création un être suprême. Et lorsque l’athée proclame qu’il ne croit pas en Dieu, il doit avoir une certaine idée de Dieu à l’esprit, sinon cette affirmation n’aurait aucun sens.
En général, quelles que soient nos croyances divergentes, le mot « Dieu » a une signification acceptée, et c’est ce qui rend possible la discussion philosophique sur son existence.
Tout cela ne suggère-t-il pas que la croyance en Dieu est en quelque sorte instinctive ou évidente en elle-même?
L’existence de Dieu est-elle évidente en soi ?
Une vérité est évidente en elle-même lorsqu’elle est reconnue immédiatement et intuitivement.
Saint Anselme (vers 1033-1109) pensait que l’existence de Dieu allait de soi et a présenté ce point de vue dans son célèbre « argument ontologique ». [1] D’autres versions de cet argument ont été présentées par des philosophes ultérieurs tels que Descartes (1596-1640) et Leibniz (1646-1716).
Thomas d’Aquin (vers 1225-1274), quant à lui, soutenait que l’existence de Dieu n’est pas évidente en elle-même pour nous. C’est-à-dire qu’elle ne nous est pas connue immédiatement et intuitivement, sans autre démonstration rationnelle.
Saint Thomas explique que « personne ne peut mentalement admettre le contraire de ce qui est évident » [2], c’est-à-dire que nous ne pouvons pas entretenir dans notre esprit une idée qui est le contraire d’une vérité évidente.
Par exemple, notre propre existence est une évidence en elle-même. Nous ne pouvons même pas essayer d’admettre mentalement l’idée que « je n’existe pas » sans être conscients que nous pensons et que nous devons donc exister.
De même, il est évident que « le tout est plus grand que les parties ». Imaginez une pizza coupée en morceaux. Vous pouvez imaginer une pizza entière coupée en quartiers. Vous ne pouvez cependant pas admettre mentalement l’idée que le tout d’une pizza donnée pourrait en fait être plus petit que l’un des quarts de la même pizza. Il est évident que ce n’est pas possible.
Saint Thomas se demande si nous pouvons admettre le contraire de l’idée « Dieu existe » et conclut que oui. Il écrit :
On peut penser le contraire de cette proposition : « Dieu existe », puisque, d’après le psaume (53, 1), « L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu. » Donc l’existence de Dieu n’est pas évidente par elle-même.
Saint Thomas constate qu’il existe dans le monde des personnes qui ne croient pas en Dieu. Le fait même que des êtres humains puissent croire que Dieu n’existe pas montre que l’existence de Dieu ne va pas de soi pour l’humanité.
Toutefois, ce n’est pas aussi simple que cela. Saint Thomas poursuit en expliquant qu’une chose peut être évidente en elle-même de deux façons : (i) « soit en elle-même, mais pas pour nous » et (ii) « soit à la fois en elle-même et pour nous ».
Ce n’est que selon le second mode que l’existence de Dieu n’est pas évidente.
Comment savoir si un énoncé est évident « en soi » ?
Saint Thomas écrit :
Une proposition est évidente par elle-même du fait que le prédicat y est inclus dans l’idée du sujet, comme lorsqu’on dit : « l’homme est un animal »; car l’animalité fait partie de l’idée d’homme.
À première vue, cette phrase peut sembler compliquée, mais lorsque la signification des termes peu familiers est expliquée, elle devient beaucoup plus claire :
- Une proposition est un énoncé qui affirme ou nie quelque chose et qui se compose d’un sujet et d’un prédicat. Dans le cas présent : « L’homme est un animal ».
- Le sujet de la phrase ci-dessus est « l’homme ».
- Le prédicat est ce qui est affirmé du sujet, en l’occurrence « est un animal ».
- L’essence d’une chose est la définition fondamentale de ce qu’elle est. Par exemple, l’essence de l’homme est [d’être un] « animal rationnel ». L’expression « animal rationnel » distingue l’homme des autres animaux (qui sont des animaux mais pas rationnels) et des anges (qui sont rationnels mais pas animaux).
Réécrivons maintenant la première partie de l’affirmation de saint Thomas ci-dessus, en utilisant ces termes :
« L’homme est un animal » est une évidence parce que « est un animal » est inclus dans « animal rationnel », qui est l’essence de « l’homme ».
Autrement dit, puisque l’homme est par définition un « animal rationnel », il est évident en soi qu’il doit être un animal.
En revanche, il n’est pas évident qu’un homme ait les cheveux bruns, qu’une femme soit très grande ou qu’un garçon ait une bonne vue. Ces éléments ne font pas partie de l’essence de l’« homme ». Un « animal rationnel » donné peut être roux, très petit ou malvoyant.
Comment savoir si un énoncé est évident « en soi et pour nous » ?
Il n’est pas certain qu’un énoncé qui est évident « en soi » le soit également « pour nous ».
En effet, l’essence du sujet ou du prédicat peut ne pas être connue de tous.
En d’autres termes, si quelqu’un ne connaissait pas les définitions correctes d’« homme » et d’« animal », il ne serait peut-être pas évident pour lui que l’homme soit un animal. Cependant, cela resterait « évident en soi ».
C’est ce que veut dire saint Thomas lorsqu’il écrit :
Mais s’il arrive chez quelqu’un que la définition du prédicat et celle du sujet soient ignorées, la proposition sera évidente de soi ; mais non pour ceux qui ignorent le sujet et le prédicat de la proposition.
L’existence de Dieu est évidente « en soi, mais pas pour nous »
Dans la proposition « Dieu est », « Dieu » est le sujet et « est », comme dans existe, est le prédicat.
Saint Thomas affirme que l’affirmation « Dieu existe » est évidente « en soi » parce que « Dieu est son être même, comme on le verra plus loin ». Saint Thomas fait référence à la conclusion selon laquelle l’essence de Dieu est sa propre existence ; il n’y a pas de distinction entre « essence » et « existence » en Dieu.
Cependant, l’affirmation ci-dessus n’est pas évidente pour nous. Il s’agit d’une conclusion à laquelle nous sommes parvenus au terme d’un processus de raisonnement (ne vous inquiétez donc pas si vous ne la comprenez pas pour l’instant). Seule une personne ayant compris que l’essence de Dieu est identique à son existence comprend que le prédicat « est [existant] » est nécessairement inclus dans le sujet « Dieu ».
Par conséquent, l’existence de Dieu, bien qu’évidente en soi, ne l’est pas pour nous.
L’effort de l’homme vers Dieu
Saint Thomas considère en effet que les hommes ont une idée générale et confuse de Dieu, même si son existence n’est pas évidente pour nous. Cela est dû au fait que la nature humaine a été orientée par Dieu vers sa finalité, qui est le bonheur et donc, en fin de compte, Dieu. Saint Thomas écrit :
Savoir que Dieu existe de manière générale et confuse est implanté en nous par la nature, dans la mesure où Dieu est la béatitude de l’homme.
L’homme tend vers le bonheur, et donc vers Celui qui est notre ultime béatitude. C’est pourquoi saint Augustin a pu écrire, dans ces mots célèbres de ses Confessions : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi ».
Cependant, cette connaissance générale et confuse de Dieu — bien qu’elle explique en grande partie la prévalence de la croyance en Dieu évoquée plus haut — n’est pas la même chose qu’une connaissance claire et certaine de l’existence de Dieu. Comme l’explique saint Thomas :
Mais ce n’est pas là vraiment connaître que Dieu existe, pas plus que connaître que quelqu’un vient n’est connaître Pierre, même si c’est Pierre qui vient. En effet, beaucoup estiment que la béatitude, ce bien parfait de l’homme, consiste dans les richesses, d’autres dans les plaisirs, d’autres dans quelque chose d’autre.
Si nous voulons savoir avec certitude que Dieu existe, nous devons chercher à le démontrer par des arguments rationnels, à partir de choses certainement connues par nos sens.
Mais la raison humaine est-elle apte à démontrer l’existence de Dieu ?
C’est la question que nous examinerons dans le prochain volet de cette série.
Références :
[1] Une discussion détaillée du célèbre argument ontologique de Saint Anselme nous ferait dérailler ici. En résumé, il se présente comme suit : L’idée de Dieu que tous les hommes se font est « un être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand ». Or, ce qui existe dans la réalité est plus grand que ce qui n’est qu’un concept dans l’esprit. Par conséquent, puisque « Dieu est cet être tel qu’on n’en puisse concevoir de plus grand », il doit exister dans la réalité. L’argument de saint Anselme a été critiqué depuis qu’il l’a proposé pour la première fois et il a été presque universellement rejeté par les philosophes catholiques. Le principal problème est que le fait qu’une chose puisse être conçue dans l’esprit comme étant la plus grande dans l’ordre logique ne prouve pas qu’elle existe dans la réalité.
[2] Saint Thomas d’Aquin, ST, I. q.2 a.1. Toutes les citations de Saint Thomas sont tirées de cet article de la Somme théologique.
Les articles de la série :
- Série sur la philosophie catholique — les étapes
- Dieu existe. Mais son existence est-elle évidente en elle-même ?
- Est-il possible de prouver l’existence de Dieu ?
- L'existence de Dieu peut être connue à la lumière de la raison naturelle
- Sans Dieu, rien d’autre ne peut exister
- Les êtres créés ne peuvent pas être à l’origine de la création — seul Dieu peut l’être
- L’Église catholique enseigne que les hommes peuvent connaître l’existence de Dieu par la seule raison
- La philosophie scholastique
- Nietzsche et Kant ne vous mèneront pas à la vérité — c’est la philosophie scolastique qui le fera
- Les merveilles de la création nous conduisent à Dieu
- La révélation et les cheminements de la philosophie