Par S.E. Monseigneur Lionel Gendron, évêque de Saint-Jean–Longueuil et président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC)
Il y a trente ans jour pour jour [le 27 janvier — NDLR], la Cour suprême du Canada a statué que les dispositions sur l’avortement, alors en vigueur dans le Code criminel de notre pays, violaient le droit de la femme garanti par la Charte concernant la sécurité de sa personne, et qu’elles étaient donc inconstitutionnelles. Depuis ce jugement, il n’existe aucune loi pénale qui réglemente l’avortement au Canada. Or, Monsieur Gerard Mitchell, ancien juge en chef de l’Île-du-Prince-Édouard, a fait remarquer qu’à l’époque de la décision Morgentaler en 1988, « aucun des sept juges n’a soutenu qu’il existe un droit constitutionnel à l’avortement sur demande ». Au contraire, « tous les juges reconnaissaient que l’État a un intérêt légitime à protéger l’enfant à naître ». En dépit des efforts héroïques de nombre de citoyennes, de citoyens et d’organismes canadiens pour assurer en droit la pleine protection de l’enfant à naître, plusieurs gouvernements fédéraux successifs ont failli à la tâche de prendre des mesures décisives. Le Canada est aujourd’hui l’un des seuls pays au monde où l’avortement soit encore permis à toutes les étapes de la croissance prénatale et pour quelque motif que ce soit.
Légal ou non, chaque avortement fait au moins quatre victimes : l’enfant à naître, la mère, le père et la communauté. Les gestes de la mère, qu’ils soient contraints ou posés librement, lui causent une blessure qui perdure souvent toute sa vie. L’avortement peut aussi susciter des tensions destructrices entre les parents et avec leurs familles. Même si certaines voix continuent de présenter l’accès sans réserve à l’avortement comme le garant de la liberté des femmes, l’avortement ne fait rien, en réalité, pour répondre aux vrais défis que doit relever la femme confrontée à une grossesse non désirée. Il ne corrige pas non plus les autres facteurs sociaux qui limitent injustement la liberté des femmes. L’avortement permet simplement à la société d’éviter plus facilement le devoir moral qui lui incombe d’assurer la protection et l’hébergement des plus vulnérables : les mères enceintes, les enfants à naître et toutes les personnes dans le besoin. L’avortement n’est jamais une solution.
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S.E. Monseigneur Lionel Gendron. |
Dès le début et pendant toute son histoire, l’Église catholique a constamment enseigné le caractère sacré de la vie humaine, dont la valeur n’est pas mesurée selon son degré d’« utilité », mais par son origine, cachée dans la puissance créatrice de Dieu, et par la destinée éternelle à laquelle elle est vouée. Le meurtre prémédité des êtres humains à toute étape de leur développement est toujours une faute grave. La vie qui commence à la conception est celle d’un être humain unique et irremplaçable; une vie comme toutes les autres, dépendante jusqu’à un certain point, mais déjà génétiquement distincte — une vie humaine, riche de potentiel. Tel que stipulé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), nous soutenons que tous les membres de la famille humaine ont droit à la vie.
Aujourd’hui, avec les sciences de l’embryologie et de la génétique, l’humanité de l’enfant à naître est indisputable. Le fait qu’une nouvelle vie humaine arrive à l’existence au moment de la conception n’est pas qu’une « opinion théologique », comme certains le prétendent; la raison nous dit bien que chaque vie humaine a le droit de ne pas être tuée. En tant que Canadiennes et Canadiens, nous sommes fiers de notre tradition de maintenir les normes internationales en matière de droits de la personne — mais en même temps nous négligeons d’accorder la protection la plus élémentaire à l’enfant dans le sein maternel, ce qui vient contredire et miner notre propre humanité. Dans notre pays, afin de créer une société qui reconnaisse la valeur inhérente de la vie humaine, nous devons en faire davantage pour que l’option pour la vie devienne un choix réel et pour contrer les notions erronées de « liberté » et d’« autonomie » qui opposent le bien-être et les droits de l’individu à ceux de son voisin ou de sa voisine, de son ami(e), de l’enfant à naître et donc aussi de la communauté humaine. Ce qui appauvrit l’une ou l’un d’entre nous, nous appauvrit tous; ce qui enrichit l’une ou l’un d’entre nous, nous enrichit tous. À celles qui ont cédé aux pressions pour subir un avortement, nous tendons la promesse du pardon divin. Plein de miséricorde et de compassion, Dieu désire l’amitié et la guérison de tous.
Avec beaucoup d’espérance et dans l’action de grâce, les évêques catholiques du Canada soutiennent que le respect pour la vie et l’opposition à l’avortement ne sont pas, comme certains l’ont affirmé, seulement une position « catholique ». Au cours des dernières décennies, plusieurs de nos sœurs et de nos frères chrétiens, de membres d’autres traditions religieuses, et de personnes non croyantes ont travaillé sans relâche avec des membres de nos communautés à défendre la valeur de la vie humaine dès l’instant de la conception. Ce grand mouvement de collaboration a permis de protéger la vie de nombreuses personnes vulnérables et de venir en aide à un grand nombre de mères; des couples aux prises avec un problème d’infertilité ont eu la joie de devenir parents; et la miséricorde, le pardon et la guérison ont été célébrés et partagés dans toute la communauté. Nous prions pour que cette intention commune continue de grandir et de s’épanouir et pour que, dans un proche avenir, une loi canadienne protège la vie des enfants à naître. Ne relâchons pas nos efforts et faisons ce qui est juste pour que les plus vulnérables parmi nous puissent un jour jouir de la protection à laquelle ils ont droit.
+Lionel Gendron, P.S.S.
Évêque de Saint-Jean–Longueuil et
Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada
Le 27 janvier 2018