Par Maria Madise (Voice of the Family) — Traduit par Campagne Québec-Vie — Photo : angel nt/Adobe Stock
Juste avant Noël, le 18 décembre 2023, le monde catholique a été secoué par Fiducia supplicans, une déclaration de haut rang magistériel, publiée par le Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF). Le document a été signé par le cardinal Victor Manuel Fernández, nouveau préfet du DDF, et cosigné ex audentia par le pape François. Que ce document — qui permet au clergé catholique de bénir des couples vivant ensemble en dehors du mariage chrétien (y compris des couples homosexuels) dans certains contextes non liturgiques — ait été accueilli favorablement ou avec inquiétude, il a occupé une place importante dans l’actualité pendant la période de Noël. Des commentaires perspicaces ont déjà été rédigés (par exemple par Edward Feser et Roberto de Mattei) et il ne fait aucun doute qu’il y en aura d’autres dans les semaines et les mois à venir, au fur et à mesure que les implications du document seront mieux comprises. D’ores et déjà, de nouvelles et fortes voix de résistance à la révolution dans l’Église, dont des conférences épiscopales entières, se sont élevées contre de telles bénédictions — beaucoup provenant d’Afrique, suggérant que le pape des périphéries a mal calculé les périphéries, mais aussi des évêques de Pologne, de Hongrie, du Kazakhstan et d’ailleurs. Alors que les erreurs évidentes de Fiducia supplicans sont examinées, le défi qui se présente à nous est de revenir à la plénitude de la vérité concernant l’enseignement moral catholique sur le mariage et la famille.
Les dommages que le document causera inévitablement ont déjà été bien résumés par d’autres. Premièrement, il confirmera les personnes dans le péché et leur refusera l’attention véritablement pastorale qui leur offrirait l’opportunité de transformer leur vie. Il n’est ni charitable ni miséricordieux de cacher aux gens la vérité sur leur état spirituel lorsque cela les prive de la motivation nécessaire pour se détourner d’une vie de péché qui menace de les couper de Dieu pour l’éternité. Deuxièmement, cela affaiblit encore l’autorité de l’Église en créant le type de désunion que l’on observe dans les dénominations protestantes où l’application de la doctrine varie d’un ministre à l’autre. Il y aura un fossé de plus en plus profond entre les « gentils prêtres » qui bénissent les couples de même sexe et les « prêtres rigides » qui refusent de telles bénédictions. Aux nomades liturgiques à la recherche d’une messe plus respectueuse, s’ajouteront des nomades moraux à la recherche d’une paroisse où de telles occasions de scandale sont évitées, et d’autres encore à la recherche d’une paroisse où leur relation pécheresse sera cautionnée par une bénédiction ; en un mot, cela générera encore plus de fragmentation et de confusion. Troisièmement, l’appel à la conversion des non-catholiques sera sapé. Les luthériens ou les anglicans, par exemple, qui envisagent d’entrer dans l’Église catholique, pourraient raisonnablement se demander quel en serait l’intérêt, si l’on y trouve les mêmes « partis » et les mêmes contradictions que dans leurs propres communautés. L’Église catholique a toujours été le phare de la morale chrétienne, orientant toutes les personnes de bonne volonté — catholiques et non-catholiques — vers la défense des principes de la loi naturelle en tant que fondement de la société civilisée. Se détourner de la proclamation sans ambiguïté de l’enseignement de l’Église sur un sujet aussi important que les actes homosexuels est considéré comme un pas décisif vers l’abandon de l’enseignement pérenne sur le mariage et la famille, ouvrant l’Église à un déluge d’attaques internes bien connues des protestants dont les autorités ont pratiquement abandonné l’enseignement de ces principes.
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En plus de démoraliser le clergé et les laïcs fidèles, le document nuit à l’Église elle-même. Dans de tels moments, il est bien trop courant de se préoccuper de « ce que cela signifie pour moi en tant que catholique, pour ma famille et ma paroisse » plutôt que de « ce que cela signifie pour l’Église ». Pourtant, nous devons toujours considérer l’Église comme une personne — et pas seulement une personne, mais comme notre mère qui souffre de très mauvais traitements. De même que nous placerions la souffrance de notre mère humaine au-dessus de notre propre honte et de notre colère, si elle était outrageusement insultée, maintenant aussi, nous devons considérer notre mère, l’Église, et ses intérêts en premier lieu — et cela nous indiquera également la réponse appropriée.
Une réaction naturelle et compréhensible à tout cela est le rejet de Fiducia supplicans, en faveur de la position qui prévalait avant le 18 décembre 2023, mais tant qu’il n’y aura pas une restauration beaucoup plus profonde de l’enseignement moral catholique sur le mariage et la famille, en particulier sur les fins du mariage et leur hiérarchie, nous risquons de devenir comme ces « traditionalistes » que G. K. Chesterton a accusés de défendre et de conserver les erreurs passées de la révolution contre les nouvelles, en notant que :
« L’activité des conservateurs consiste à empêcher que les erreurs soient corrigées. Même lorsque le révolutionnaire se repent de sa révolution, le traditionaliste la défend déjà comme faisant partie de sa tradition ».
Le défi
Les années 1960 ont été marquées par des changements révolutionnaires non seulement dans la liturgie de l’Église, mais aussi dans son enseignement moral. Si ces derniers étaient moins immédiatement apparents que les premiers, ils étaient, pour ainsi dire, les deux faces d’une même pièce. Et, tout comme la tentative de « réforme de la réforme » en liturgie a suggéré que seul un retour complet à la tradition pourrait restaurer l’intégrité du culte catholique, nous pourrions découvrir qu’en matière de morale, ce n’est pas la compréhension des années 1960, 1980 ou du début des années 2000 — c’est-à-dire pas telle ou telle tentative d’adaptation de la morale catholique au monde séculier — qui doit être restaurée, mais l’authentique enseignement pérenne dans son intégralité.
Dans le cadre de la préparation du concile Vatican II, un comité dirigé par le cardinal Alfredo Ottaviani, préfet du Saint-Office, a été chargé de préparer plusieurs schémas sur lesquels les discussions seraient basées. Parmi ceux-ci, le « Projet de constitution dogmatique sur la chasteté, le mariage, la famille et la virginité » présentait un exposé complet de l’ordre moral divinement établi, tel qu’il est compris et promu par l’Église. Il invitait le Concile à « publier une seule et même constitution dogmatique, pour exalter et préserver la grandeur de la chasteté propre aux continents, celle de la sainte virginité, qui en est le plus beau fruit, et tout autant celle de la chasteté du mariage et de son fruit céleste qu’est la famille chrétienne ». [1] Le document expliquait comment le mariage humain, selon l’ordre divin, non seulement multiplie la race humaine, mais a aussi le privilège d’engendrer des enfants pour l’Église, afin qu’elle puisse vraiment s’épanouir. Le schéma réaffirme que le sexe est ordonné au mariage et à ses biens spirituels et matériels. Par conséquent, les maux tels que le transgenrisme, la mutilation, la stérilisation, la FIV et l’homosexualité sont condamnés. Il souligne que « même si la chasteté n’est pas l’unique, ni la première des vertus dans la vie morale, celle-ci la réclame pour son intégrité ».
Le contenu du schéma, bien sûr, ne révélait rien de nouveau. Il se contentait de résumer ce que l’Église a toujours enseigné sur le mariage et la famille et de mettre en garde contre les attaques prévisibles qui se préparaient au sein de l’Église et qui se manifestaient déjà dans la société séculière.
Il soulignait donc dans les termes les plus forts possible l’indissolubilité du mariage et la hiérarchie de ses fins. Dieu a fait de la propagation de la race humaine sa fin première et le mariage est — par son origine, son but et sa fonction — bon et saint : « Il les créa homme et femme. Dieu les bénit en disant : “Croissez et multipliez”. » (Gn 1, 27-28) La fin secondaire du mariage, l’assistance mutuelle des époux, est également indiquée dans le chapitre suivant de la Genèse : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul : faisons-lui une aide semblable à lui-même. » (Gn 2,18)
La primauté absolue de la première fin, la propagation et la sanctification du genre humain, se comprend aisément si l’on considère le mariage à la lumière de son modèle surnaturel : l’union entre le Christ et son Église, dont la fin est de peupler le ciel d’âmes. L’institution du mariage a donc été élevée par le Christ à la dignité de sacrement pour les baptisés et, bien que le lien du mariage soit formé par le consentement mutuel du mari et de la femme, il ne peut être dissous par la volonté humaine, de même que l’Église ne peut être séparée du Christ.
Les auteurs du schéma ont rejeté avec force « les erreurs et les théories d’après lesquelles les fins et les propriétés du mariage n’auraient pas été établies par Dieu » et « les théories qui renversent l’ordre juste des valeurs et font passer la fin première du mariage après des valeurs biologiques et personnelles des époux, élevant, dans l’ordre objectif, l’amour conjugal au rang de fin première. »
La raison pour laquelle la plupart des catholiques d’aujourd’hui ne savent rien de ce schéma est que, comme la plupart des projets de constitution élaborés par le comité préparatoire, il a été rejeté par les Pères du Concile. Ce schéma résumait l’enseignement catholique permanent sur le mariage et la famille et exposait sans ambages les conséquences de toute tentative de retirer un seul fil de cette tapisserie aux motifs magnifiques. Son rejet représenterait l’abandon de la plénitude de l’enseignement moral traditionnel et son remplacement progressif par une nouvelle conception du mariage et de la morale qui ouvrirait finalement la voie à des documents tels que Fiducia supplicans.
Au cours du Concile, le schéma « Sur la chasteté, la virginité, le mariage, la famille » a été démantelé. Toutes les références à la chasteté et à la virginité ayant été supprimées, ce qui restait a été incorporé dans un nouveau document sur les relations entre l’Église et le monde moderne, Gaudium et spes, approuvé à une écrasante majorité en décembre 1965.
Gaudium et spes semble définir le mariage avant tout comme la communion intime du couple marié. Comme le souligne le professeur Roberto de Mattei, le chapitre consacré au mariage et à la famille reflète une synthèse malheureuse des points de vue opposés. Il note :
« L’aspect le plus surprenant de Gaudium et spes est le manque d’exposition de l’ordre traditionnel des finalités du mariage. Il s’agit, comme pour beaucoup d’autres textes du Concile, d’un document substantiellement ambigu. La logique enseigne que deux valeurs ne peuvent être sur un pied d’égalité absolue. En cas de conflit, l’un ou l’autre des principes équivalents prévaudra ». [2]
En octobre 1941, Pie XII avait déjà lancé un avertissement :
« Il faut éviter deux tendances : celle qui, en examinant les éléments constitutifs de l’acte de génération, ne donne de poids qu’à la finalité première du mariage, comme si la finalité secondaire n’existait pas … et celle qui considère la finalité secondaire comme également principale, en la détachant de sa subordination essentielle à la finalité première, ce qui, par nécessité logique, conduirait à des conséquences mortelles… » [3]
En 1968, les finalités du mariage ont été clairement inversées dans le langage de l’Église. Au paragraphe 12 de l’encyclique Humanæ Vitæ, sur « l’union et la procréation », Paul VI déclare :
« Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le Magistère, est fondée sur le lien indissoluble, que Dieu a voulu et que l’homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l’acte conjugal : union et procréation. »
« En effet, par sa structure intime, l’acte conjugal, en même temps qu’il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon des lois inscrites dans l’être même de l’homme et de la femme. C’est en sauvegardant ces deux aspects essentiels, union et procréation que l’acte conjugal conserve intégralement le sens de mutuel et véritable amour et son ordination à la très haute vocation de l’homme à la paternité. »
Dans les milieux progressistes, déjà enivrés par la révolution sexuelle, on s’attendait à ce que le pape Paul VI modifie l’enseignement de l’Église sur le contrôle des naissances. Les catholiques fidèles ont naturellement été soulagés lorsque Humanæ Vitæ a maintenu l’injonction contre la contraception. Mais alors qu’elle était clouée au pilori par les progressistes et applaudie par les fidèles, une innovation bien plus subtile, qui inversait l’ordre des finalités du mariage, a été inscrite dans le texte. Passée pratiquement inaperçue à l’époque, cette erreur allait avoir des conséquences considérables au cours des décennies suivantes.
Lorsque l’ordre des fins du mariage n’est pas respecté, la concupiscence de l’homme et son désir de plaisir ont tendance à prévaloir ; l’« amour » est identifié au plaisir obtenu par l’union personnelle, ou par l’engagement et la stabilité de la relation qui en résulte. En outre, une fois abandonnée la loi de la nature, fondée sur la différence objective entre les sexes, toute morale sexuelle est remplacée par la préférence personnelle. [4] Ce processus conduit inévitablement à tout ce qui s’oppose au vrai mariage : contrôle des naissances, infidélité, homosexualité, etc. L’homme, souillé par le péché, est désormais soumis à la tentation toujours plus grande de réformer au gré de ses passions les lois de la procréation, pourtant universellement enseignées depuis des siècles.
Cette tournure d’esprit qui donne la priorité à l’amour sur la vérité, avec l’implication que la fin première du mariage est « l’amour », que l’acte conjugal est lui-même « l’amour total qui se donne », a permis aux hommes d’église d’aujourd’hui de soutenir que les unions homosexuelles stables et fidèles « ont des aspects positifs » et « des dons à offrir », comme cela était déjà évident lors des deux synodes de la famille en 2014 et en 2015. [5] Une fois que les principes de la loi naturelle et des absolus moraux sont abandonnés, tout devient possible, même la suggestion qu’il y ait des éléments positifs dans le péché mortel impénitent et qu’il puisse être licite de bénir ce que Dieu condamne.
Il est facile d’imaginer que la corruption de l’enseignement de l’Église sur l’indissolubilité du mariage et l’homosexualité s’accompagnera tôt ou tard de la négation de son enseignement sur la contraception, les technologies de reproduction et le caractère sacré de la vie elle-même.
Tous les catholiques, quel que soit leur état de vie, ont le devoir de repousser toute attaque contre le mariage et la famille. Compte tenu de leur importance fondamentale pour notre foi et de leur fondement dans le mariage salvifique entre le Christ et son Église, il est clair que tous doivent mener cette bataille décisive. Et seul le retour complet à la totalité du tissu de l’enseignement catholique — beau, intact et sans compromis — conduira à la victoire.
Dans un message adressé à feu le cardinal Carlo Caffarra, Sœur Lúcia de Fatima a écrit : « Père, un temps viendra où la bataille décisive entre le royaume du Christ et Satan portera sur le mariage et la famille ». Les implications de documents tels que Fiducia supplicans intensifieront certainement la bataille décisive et « ceux qui travaillent pour la sainteté du mariage et de la famille » se sentiront certainement « combattus et contrés de toutes les manières ». Mais nous ne devons pas oublier ce que Sœur Lúcia a dit dans la conclusion de sa lettre : « N’ayez pas peur, car la Vierge lui a déjà écrasé la tête ».
En effet, nous pouvons être sûrs qu’à la fin, le Cœur Immaculé triomphera ; mais ce n’est que si nous partageons la lutte, que nous partagerons la joie de son triomphe.
Notes
1. Concernant la traduction en français de cet article, cette citation et toutes celles qui suivent sont tirées de « Concile Vatican II. Schémas préparatoires de la Commission de théologie V : Chasteté, Virginité, Mariage, Famille », traduit par le père Jean-Michel Gleize, Publications du Courrier de Rome, 2015.
2. Voir Roberto de Mattei, Il primo schema sulla famiglia e sul matrimonio del Concilio Vaticano II, Edizioni Fiducia, 2015.
3. Pie XII, Discours, 3 octobre 1941 (AAS 33 [1941], 423).
4. Voir Roberto de Mattei, Il primo schema sulla famiglia e sul matrimonio del Concilio Vaticano II, Edizioni Fiducia, 2015.
5. IIIe Assemblée générale extraordinaire du Synode des évêques, Relatio post disceptationem, 13 octobre 2014.