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Le Parlement et la police de la prière silencieuse

Par Liam Gibson (Voice of the Family) — Traduit par Campagne Québec-Vie — Photo : Pixnio

Le samedi 6 mai 2023, lors d’une cérémonie élaborée remontant au Moyen-Âge, Charles III sera couronné dans l’abbaye de Westminster en tant que roi de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Le lendemain, la Loi sur les services d’avortement (zones d’accès sécurisé) (Irlande du Nord) entrera en vigueur, ce qui n’est pas de bon augure pour cette nouvelle ère. Cette loi criminalise toute activité pro-vie, y compris la prière silencieuse, dans un rayon de 150 mètres autour des centres d’avortement de la province. Pour la première fois de son histoire, le crime de pensée sera un délit dans le code juridique du Royaume-Uni.

L’année dernière, la Cour suprême de Londres a examiné cette législation et a décidé qu’elle était compatible avec la législation nationale sur les droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle a conclu que les clients et le personnel des établissements pratiquant l’avortement ont le droit de ne pas « assister à une prière silencieuse non désirée, importune et intrusive ». [1] Il est difficile d’imaginer comment une prière silencieuse pourrait être intrusive, mais cette déclaration démontre que ce sont les convictions des militants pro-vie qui sont considérées comme offensantes, et non leur comportement.

Après l’approbation de la loi par la Cour, celle-ci est devenue le modèle des mesures relatives aux zones tampons dans le projet de loi sur l’ordre public (Public Order Bill), qui attend actuellement la sanction royale. Lorsqu’elle a demandé à la Cour suprême de confirmer la législation d’Irlande du Nord, Dorothy Bain, KC, Lord Advocate écossais, a insisté sur le fait que la prière silencieuse était plus préjudiciable aux femmes souhaitant avorter que les manifestations bruyantes. Le Lord Advocate est le principal conseiller juridique du gouvernement écossais et un projet de loi similaire devrait être présenté au Parlement de Holyrood dans le courant de l’année. Bien qu’il n’ait pas encore été publié, le projet de loi a déjà obtenu le soutien du nouveau premier ministre.

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En février, deux militants pro-vie, Isabel Vaughan-Spruce, directrice de March for Life UK, et le père Sean Gough, prêtre du diocèse de Birmingham, ont été arrêtés séparément, inculpés et menacés de poursuites pénales pour avoir enfreint l’ordonnance de protection de l’espace public du conseil municipal de Birmingham en priant silencieusement à proximité des locaux du British Pregnancy Advisory Service (service britannique de conseil en matière de grossesse). Lorsque l’affaire a été portée devant le tribunal, les procureurs ont sagement décidé de ne pas présenter de preuves, ce qui a entraîné leur acquittement.

Pendant de nombreuses années, l’industrie de l’avortement et ses alliés dans les médias ont cherché à priver le message pro-vie de « l’oxygène de la publicité ». [2] Mais le recours à la législation pour réduire au silence et criminaliser les manifestations pacifiques pro-vie devrait alarmer tous ceux qui s’inquiètent de l’érosion des droits civils. Le mouvement pro-vie est désormais le canari dans la mine de charbon. Si on la laisse se répandre, l’atmosphère toxique libérée par ceux qui sapent l’État de droit au nom du droit à l’avortement empoisonnera tout ce qui a de la valeur dans la société. Une fois ce précédent accepté, de nouvelles restrictions ne seront qu’une question de temps et d’opportunisme politique. En Ontario, au Canada, par exemple, l’introduction de zones tampons autour des centres d’avortement a été suivie d’un projet de loi visant à criminaliser les manifestations contre les spectacles de « travestis » impliquant des enfants. [3]

La tradition britannique du droit naturel

La continuité du système politique britannique depuis les guerres civiles du XVIIe siècle signifie que, contrairement à la plupart des nations développées, la Constitution du Royaume-Uni est en grande partie non écrite. [4] La flexibilité qui en résulte a contribué à maintenir un degré raisonnable de stabilité politique. Et, en dépit des attributs de la monarchie, elle a également permis au Parlement d’exercer sa souveraineté comme d’autres législatures ne le peuvent. Aucun juge britannique ne peut annuler ou déclarer un texte législatif inconstitutionnel comme peuvent le faire les tribunaux américains, polonais ou allemands.

Lorsqu’il a écrit sur le pouvoir législatif illimité du Parlement, Albert Dicey, l’un des experts constitutionnels les plus respectés d’Angleterre, a résumé la question dans ce qu’il a appelé « une expression grotesque », qui, selon lui, est devenue presque proverbiale : « C’est un principe fondamental pour les juristes anglais que le Parlement peut tout faire, sauf faire d’une “femme un homme et d’un homme une femme” ». [5]

Aussi grossière que soit cette expression, elle reconnaît que le Parlement n’est lié que par les lois de la nature et le fil fragile de ses propres coutumes et conventions. Si, un jour, les parlementaires rejettent la nature, il n’y a plus grand-chose pour empêcher le Royaume-Uni de sombrer dans la corruption absolue généralement associée à un pouvoir illimité.

Malgré la rupture de l’Angleterre avec Rome, les racines médiévales du système juridique anglais remontent à la tradition du droit naturel, qui enseigne que la justice doit se conformer aux droits et préceptes pré-légaux. Le droit naturel se situe à l’intersection de la morale et du droit promulgué. [6] Il peut être défini comme « la lumière de la raison qui nous est inhérente par nature, par laquelle nous percevons ce que nous devons faire et [ce qu’il faut] éviter ». [7] En termes simples, cette théorie considère le droit [naturel] comme un appel à la raison — lex ratio. Il transmet une obligation, mais n’est pas un acte de force. Il protège la liberté humaine de la criminalité et du chaos.

À cette tradition s’oppose l’idée que le droit n’est que la volonté du pouvoir suprême — lex voluntas. Dans ce contexte, la volonté désigne la passion ou l’appétit irrationnel. Ce « positivisme juridique » oppose le droit et la liberté, puisque le pouvoir souverain contrôle et limite les actions de l’individu. Les lois élaborées sur cette base peuvent être totalement arbitraires et dépourvues de tout contenu moral externe. Bien que la tradition de la lex voluntas trouve également ses origines dans la philosophie médiévale, le monarque le plus absolu du Moyen-Âge [8] ne pouvait exercer le type de pouvoir dont disposent les dirigeants des États-nations d’aujourd’hui. C’est le triomphe de cette approche qui a donné naissance aux régimes totalitaires du XXe siècle.

La Lex voluntas peut être résumée par l’expression « la force fait le droit ». La lex ratio, en revanche, reconnaît notre dignité en tant que créatures rationnelles et l’égalité des forts et des faibles devant la loi. D’un point de vue chrétien, elle préfigure également la loi divine puisque « la violence est incompatible avec la nature de Dieu et la nature de l’âme ». [9]

L’adoption par le Parlement écossais du Projet de loi sur la réforme de la reconnaissance du genre, qui vise à donner une valeur juridique à l’auto-identification transgenre, montre qu’une partie importante de l’opinion politique britannique croit déjà que la législation est capable de changer les hommes en femmes et vice versa. Jusqu’à présent, la décision sans précédent de Westminster d’empêcher le projet de loi de devenir une loi a été largement présentée comme un différend sur la dévolution plutôt que comme une différence dans la compréhension de la nature humaine et du pouvoir limité des législateurs. [10] Dans la pièce de Robert Bolt « Un homme pour toutes les saisons », Sir Thomas More se moque de ce genre d’orgueil démesuré lorsqu’il fait remarquer que :

« Certains hommes pensent que la Terre est ronde, d’autres pensent qu’elle est plate, c’est une question que l’on peut se poser. Mais si elle est plate, l’ordre du roi la rendra-t-il ronde ? Et si elle est ronde, l’ordre du roi l’aplatira-t-il ? » [11]

Le pouvoir séculier

En 1080, le pape Grégoire VII rappelle à Guillaume le Conquérant que Dieu a désigné deux autorités supérieures à toutes les autres pour gouverner le monde : l’autorité apostolique et l’autorité royale. Il insiste sur le devoir d’obéissance du roi à l’égard de l’autorité papale, précisant qu’en tant que pape, il devra rendre compte pour lui devant Dieu au jour du jugement. Malgré cela, le pape Grégoire ne se faisait pas d’illusions sur la nature du pouvoir séculier. Dans une lettre à l’évêque de Metz datée de 1081, il écrit :

« Qui ne sait que les rois et les généraux ont pour origine ceux qui, ignorant Dieu, par l’orgueil, la rapine, la trahison, le meurtre, et enfin par presque tous les crimes, incitant le prince du monde, le diable, à régner sur leurs égaux, c’est-à-dire les hommes, ont été atteints d’un désir aveugle et d’une intolérable présomption » . [12]

La reconnaissance de la dignité humaine que l’on trouve dans le droit naturel constitue le fondement de la législation sur les droits de l’homme, y compris la liberté de pensée protégée par l’article 9 de la CEDH. Le premier paragraphe de cet article stipule que :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester* sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

Malgré les affirmations de la Cour suprême, le premier paragraphe de l’article 9 est absolu — aucun gouvernement, aucune législature et aucune monarchie ne peut légitimement tenter d’étendre sa portée à l’esprit de ses sujets. Le fait que Westminster ait adopté une législation visant à contrôler les pensées de ceux qu’il considère comme ses ennemis idéologiques est un exercice de pouvoir politique brut et une « présomption intolérable ». Il s’agit également d’une évolution inquiétante pour l’État de droit au Royaume-Uni, avec de graves implications qui jetteront une ombre pesante bien au-delà du mouvement pro-vie.

Notes

1. Reference by the Attorney General for Northern Ireland — Abortion Services (Safe Access Zones) (Northern Ireland) Bill, [2022] UKSC 32, 7 décembre 2022, paragraphe 84.

2. Le 15 juillet 1985, le premier ministre Margaret Thatcher a prononcé le discours d’ouverture d’une réunion de l’Association du barreau américain à Londres. Elle a déclaré à son auditoire que les médias fournissaient aux terroristes « l’oxygène de la publicité ». Le 19 octobre 1988, le ministre de l’Intérieur, Douglas Hurd, a publié une directive en vertu de l’article 29:3 de la loi sur la radiodiffusion de 1981, interdisant la diffusion des paroles prononcées par toute personne représentant l’une des onze organisations paramilitaires ou politiques républicaines ou loyalistes d’Irlande du Nord. Voir Gary Edgerton, « Quelling the 'Oxygen of Publicity' : British Broadcasting and 'The Troubles' During the Thatcher Years », (1996) J Pop Cult, 30, 1. pp 115-31.

3. Allison Jones, « Ontario NDP urges legal protections for drag shows » 4 avril 2023, CBC News.

4. La Nouvelle-Zélande et Israël sont dans une situation similaire. Certains commentateurs évoquent des documents historiques, tels que la Magna Carta de 1215 et le Parliament Act de 1911, qui remplissent certaines des fonctions d’une constitution écrite, tandis que d’autres soutiennent que la Convention européenne des droits de l’homme devrait être considérée comme faisant partie de la Constitution britannique. Voir Jeremy Waldron, The Law, (Routledge, 2002) pp 56-87 pour une discussion détaillée de la question.

5. A V Dicey, Introduction to The Study of the Law of the Constitution (Macmillan, 1979) p 43.

6. « La notion de droit naturel a un caractère à la fois juridique et moral. La meilleure description du droit naturel est peut-être qu’il fournit un nom pour le point d’intersection entre le droit et la morale ». – A P d’Entreves, Natural Law, (Hutchenson Uni Library, 1972) p 111.

7. Viktor Catherein, SJ cité par Heinrich Rommen, dans The Natural Law (Liberty Fund, 1998) p 160.

8. Duns Scot (mort vers 1308) et Guillaume d’Occam (mort vers 1349) ont défendu ce point de vue.

9. Controverse VII, 2 c : Khoury, pp 142-143 ; Förstel, vol I, VII Dialog 1.5, pp 240-241 cité par le pape Benoît XVI dans Faith, Reason and the University, Memories and Reflections, a Lecture at the University of Regensburg, Germany, 12 September 2006.

10. Il semblerait toutefois que le gouvernement londonien s’apprête à répondre aux inquiétudes quant au fait que les parents pourraient être tenus dans l’ignorance concernant les enfants qui demandent un traitement de réassignation sexuelle. Voir Emma Soteriou, « Schools 'must tell parents if children start using different gender identity' under new guidance » LBC, 16 avril 2023.

11. Robert Bolt, A Man for All Seasons, Act II. p 79 dans la réédition de 1986 par Heinemann.

12. A J Carlyle, A History of Medieval Political Theory vol III (Blackwood, 1928) pp 94-6.

*Mais si cette conviction est mauvaise ou si cette religion est fausse, comment pourrait-on revendiquer le droit d'y adhérer ou de la manifester ? — A.H.



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