Par l’historien Jean-Claude Dupuis, Ph. D. — Photo : Danichou/Wikimedia Commmons
Le débat public qui porte sur le projet de loi 21 montre à quel point l’intelligence est malade dans la société québécoise. Nous payons le prix du rejet de la culture classique. « Avant donc que d’écrire, apprenez à penser », disait Boileau. Cette sentence s’applique bien à Mathieu Bock-Côté, qui affirme que la loi 21 marque pour le Québec une rupture officielle avec le multiculturalisme canadien. Je me demande où il voit cela. Sûrement pas dans le texte du projet de loi. Le respect de la diversité ethnoculturelle n’est-il pas, au contraire, le principal argument invoqué par les partisans de la laïcité ?
Pour voir clair, il faut d’abord comprendre que la laïcité, ce n’est pas l’absence de religion d’État. Le laïcisme est une religion en soi. C’est la religion officielle de l’État libéral et démocratique. Les États modernes imposent cette religion avec plus de force que les États médiévaux ne le faisaient pour le christianisme, car les États ont aujourd’hui des moyens d’action bien supérieurs à ceux du Moyen-Âge.
L’État ne peut pas être « neutre » sur le plan religieux. Il peut se séparer d’une religion quelconque, l’Église catholique par exemple. Mais il devra s’appuyer sur une autre religion ou une autre philosophie pour justifier moralement l’ordre social. L’être humain n’accepte jamais d’obéir uniquement à la force. La maffia elle-même a son propre « code moral ». Toute société doit nécessairement justifier ses lois en vertu d’une vision quelconque du bien commun et de la transcendance.
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La société québécoise d’aujourd’hui est aussi religieuse que celle d’autrefois. Le catholicisme a reculé, mais pas la religiosité. II suffit de faire un petit exercice de « traduction » pour le constater. Aujourd’hui, on parle de solidarité plutôt que de charité ; on fait une marche silencieuse au lieu d’une procession ; on consulte un thérapeute plutôt qu’un directeur spirituel ; on s’abstient de manger de la viande une fois par semaine pour combattre le réchauffement climatique, et non pas pour faire pénitence. Ce n’est pas de la « laïcité ». C’est une religion humaniste à fondement gnostique. La Charte des Droits est son Décalogue. La liberté, l’égalité, l’écologie, l’ouverture sont ses vertus morales. Et l’État appuie de toute son autorité l’enseignement obligatoire de cette religion laïciste. Il suffit d’examiner les manuels d’ÉCR pour le constater.
Le laïcisme repose sur le principe de l’agnosticisme, de la « non-connaissance ». L’homme ne peut pas savoir si Dieu existe. En conséquence, il doit régler sa conduite morale sur sa seule raison. Mais la raison peut évoluer suivant la volonté générale de la société. Le Peuple est souverain. Il peut décider que l’avortement est un crime ou un droit. Il n’y a plus de critère objectif pour distinguer le Bien du Mal. Le consensus social du jour devient une « vérité absolue », en attendant la prochaine variation de la « ligne du parti ».
Le laïcisme ne peut pas tolérer que les enseignants portent des signes religieux parce que cela transmet aux élèves un message qui s’oppose au « dogme » de l’égalité de toutes les religions. Un État véritablement « neutre » ne perdrait pas son temps à réglementer la tenue vestimentaire des enseignants. S’il le fait, c’est parce qu’il entend propager une vision globale du monde, ce qui est le propre d’une religion.
En 1950, on interdisait aux enseignantes de porter des jupes courtes. Aujourd’hui, on leur interdit de porte un hidjab ou une croix au cou. Le Québec de Legault est-il vraiment plus « ouvert » que le Québec de Duplessis ?