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Au-delà de la modernité stérile et du tribalisme désespéré : la royauté sociale du Christ

Par Georges Buscemi, président de Campagne Québec-Vie

Au printemps 2019, je me trouvais à New York pour assister à la 63e réunion de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies. Faisant partie d’un contingent pro-vie et pro-famille, j’étais là pour documenter les travaux et neutraliser, dans la mesure de mes moyens, les effets d’une conférence qui, au fil des ans, est devenue de plus en plus un moyen de promouvoir l’avortement, l’« éducation sexuelle » perverse et les idéologies féministes derrière un écran de mots technocratiques à la mode, comme « santé sexuelle et reproductive », « éducation complète », « égalité des sexes » et « développement durable ». Lors de cette conférence, qui s’est déroulée pendant deux semaines et à laquelle ont participé des centaines de délégués du monde entier et des milliers d’activistes, des dizaines de conférences ont été organisées tout au long de ces quelques jours dans des lieux situés à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments de l’ONU. Les discussions auxquelles j’ai assisté étaient généralement organisées de la manière suivante : un pays occidental riche et technologiquement développé (Suède, Finlande, Royaume-Uni, etc.) était associé à un pays pauvre et sous-développé (Somalie, Tanzanie, etc.) et accompagné d’un département des Nations unies (ONU Femmes, Fonds des Nations unies pour la population, etc.). Quel que soit l’objectif prétendu de ces discussions, il me semble que leur but réel était d’intimider et de faire honte aux pays pauvres pour qu’ils adoptent des attitudes libérales « éclairées » à l’égard de la vie, du sexe, de la religion et des relations entre les genres, en échange d’argent. Lors de l’une de ces conférences, j’ai vu un représentant de la Suède affirmer devant son homologue éthiopien (dont les lois sur l’avortement sont encore relativement restrictives) sa fierté de « représenter un gouvernement féministe », sa conviction que la « santé sexuelle et reproductive » (lire : l’avortement et la contraception) devrait être garantie, et son inquiétude quant aux « normes masculines destructrices ». Ce qui a vraiment retenu mon attention, cependant, c’est lorsque le représentant suédois a momentanément exprimé des doutes quant au succès futur de la diffusion de son modèle d’illumination libérale. « Car », a-t-il dit, tandis que son visage s’assombrissait momentanément, « un vent froid souffle désormais sur le monde », un vent qui menace de renverser toutes les avancées libérales en matière de « changement climatique », de droits des femmes et de démocratie. Mais quel est ce « vent froid » qui souffle sur la surface de la planète et qui inquiète tant le diplomate suédois ?

Une autre conférence tenue quelques semaines plus tard à Vérone, en Italie, pourrait en donner la clé. Lors de cette conférence organisée en partie par les autorités locales et nationales, un universitaire américain sympathique et personnalité montante de YouTube, Steve Turley, a lui aussi parlé d’un « vent de changement » balayant le monde. Mais pour lui, ce vent est aussi vivifiant et stimulant qu’il est glaçant et mortifiant pour le diplomate suédois et l’ordre mondial libéral qu’il représente. Turley, qui s’est donné pour mission, par le biais d’émissions sur sa chaîne YouTube, de décrire et d’intensifier ce qu’il perçoit comme un phénomène positif, le résume ainsi : le monde se révolte contre la méthode « taille unique » de gouvernance mondiale de la modernité par le biais d’une réaction à trois facettes : le populisme, le nationalisme et le traditionalisme. Cette réaction tripartite est déclenchée par trois inquiétudes interconnectées engendrées par l’ordre mondial globaliste : l’insécurité financière (les emplois partent vers le tiers-monde), l’insécurité frontalière (les migrants inondent et modifient rapidement les nations d’accueil) et l’insécurité culturelle (provoquée par les divertissements et les marques du plus petit dénominateur commun mondialisé, le libéralisme, l’indifférentisme religieux, la perte des coutumes et des formes de vie locales, etc.) Le populisme exprime la colère de la population contre une élite dirigeante qui l’a trahie non seulement en refusant de répondre de manière adéquate à ces trois préoccupations, mais en les exacerbant année après année (cf. la décision de la chancelière Angela Merkel d’ouvrir les vannes à des centaines de milliers de migrants en 2015). Le populisme cherche donc à court-circuiter la bureaucratie ou les représentants dûment désignés pour obtenir des résultats. Le vote américain pour Donald Trump est emblématique de cette tendance, de même que le vote du Brexit en 2016. Le nationalisme peut être compris comme un désir d’affirmer la souveraineté nationale face à une tendance croissante à l’immigration, qui inonde les marchés locaux d’une main-d’œuvre bon marché, entraînant une baisse des salaires et, en fin de compte, de la qualité de vie. Enfin, 3) le traditionalisme, ou la « retraditionalisation » comme l’appelle Turley, est un processus par lequel les nations refusent de s’assimiler à l’uniformité criarde d’un monde Coca-Cola/Walmart/McDonald’s en renouant avec leurs anciennes traditions culturelles et religieuses.

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Loin d’être un simple accident de parcours sur la voie d’un glorieux ordre mondial libéral, et en dépit de ce que peuvent en penser les guerriers quelque peu usés de la culture socioconservatrice de l’Occident, Turley affirme qu’une « nouvelle ère conservatrice » est en train de naître. En effet, les tendances démographiques, associées au fait que « les racines de la modernité ont pourri », comme l’affirme souvent Turley, montrent que le nationalisme, le populisme et le traditionalisme — et leur expression politique — sont là pour durer.

Et quelle est, exactement, l’expression politique de ce nouveau mouvement de réaction contre la modernité mondiale et son idéologie « taille unique » ? Turley cite la retraditionalisation du Japon sous le Parti libéral-démocrate de Shinzō Abe, l’étonnante montée de l’orthodoxie dans la Russie de Vladimir Poutine, l’affirmation sans complexe du nationalisme hindou en Inde et, bien sûr, les divers partis nationalistes et populistes qui poussent comme des champignons en Europe, tels que le Rassemblement national de Marine Le Pen, le Parti Fratelli d’Italia de Georgia Meloni, le PiS en Pologne et le Fidesz de Victor Orbán en Hongrie, parmi beaucoup d’autres. Ce qu’il ne mentionne pas, c’est la retraditionalisation équivalente du monde musulman, qui a commencé au début de ce siècle, avec l’Iran, puis l’Arabie saoudite, puis l’Algérie, et récemment, Isis, qui est la nouvelle version du retour aux sources de l’Islam. La Turquie, sous la houlette de Recep Erdogan, tourne également le dos à l’ordre mondial libéral proposé (et imposé) depuis au moins la Seconde Guerre mondiale.

Les omissions de Turley sont révélatrices. Et ces omissions expliquent en partie pourquoi je ne partage pas son optimisme quant à l’avènement d’une « nouvelle ère conservatrice ». Mais avant de parler de ce qui, selon moi, est réellement en train de se produire et de la manière dont nous devrions y faire face, je dirai tout d’abord que je suis d’accord avec de nombreux éléments de l’analyse de Turley. En effet, la modernité libérale, si l’on entend généralement par là l’ordre libéral préfiguré par les écoles nominalistes de la fin de la période scolastique, conçu pendant la révolte protestante et né dans le monde avec les révolutions américaine et française et leurs « déclarations des droits de l’homme » respectives, est en train de pourrir à la racine et il ne reste plus, pour nous enivrer, que les vapeurs de ses fruits en décomposition.

Par souci de concision, nous pouvons dire que l’ordre politique libéral mondial en tant que projet de propagation universelle des droits de l’homme est construit sur des fondations de sable. Les véritables fondements des droits de l’homme sont philosophiques et théologiques. Sur le plan philosophique, ils nécessitent une compréhension aristotélicienne ou classique de la relation entre la matière et la forme, le corps et l’âme, l’homme et la société, et la société et Dieu [1]. Après la révolte protestante et l’avènement du philosophe René Descartes (1596-1650), le monde occidental a toutefois rejeté la philosophie traditionnelle en faveur d’une nouvelle philosophie, prétendument plus scientifique, qui réduisait tout l’être à des particules en mouvement. Cette philosophie mécaniste ne permet pas de fonder correctement les droits et les devoirs, mais les partisans de ces philosophies ne cessent de proclamer leur allégeance à la liberté et aux droits de l’homme. Des philosophes tels que Kant et Rawls ont tenté de refonder les droits et les devoirs à la lumière de la vision philosophique erronée du monde, mais en vain. L’empereur n’avait pas de vêtements. À la fin du XIXe siècle, des esprits astucieux et surchauffés comme celui de Nietzsche ont déclaré que l’ère de la prétendue raison éclairée était révolue et ont proclamé l’avènement d’une ère magnifique de volonté de puissance sans complexe. Et c’est ainsi que cet âge a vu le jour au 20e siècle. Cependant, le libéralisme, soutenu par des États-Unis dynamiques, a reçu une seconde impulsion à partir du milieu du XXe siècle, impulsion qui est aujourd’hui en train de s’arrêter brutalement.

Car il ne faut pas s’y tromper, le pourrissement de la modernité libérale est profond. Elle est non seulement philosophique, mais aussi théologique. Le rejet de l’autorité de l’Église catholique lors de la révolution protestante a fait que des populations européennes entières ont été coupées de l’enseignement et des grâces nécessaires pour vivre selon la loi naturelle que les modernes prétendaient défendre. Pour aggraver les choses, au nom de la liberté (et en cela, les États-Unis sont paradigmatiques), les philosophes libéraux ont appelé à la « séparation de l’Église et de l’État », ce qui usurpe effectivement le pouvoir de Dieu, tel qu’il est transmis par l’Église, et le remet à l’homme, sous la forme de « gouvernements démocratiques ». Cela fait des masses l’arbitre final du bien et du mal, du sacré et de l’impie, à la grande joie des « oligarques » et des « mondialistes », ces Soros, Rockefeller et Rothchild que les populistes adorent haïr. Car ces oligarques, dont l’ascension a été garantie par la rétrogradation de l’Église, se plaisent à dépenser leurs grandes richesses pour manipuler à volonté le « peuple souverain » afin qu’il vote comme ils l’entendent. Les glorieux droits de l’homme, nés du rejet des droits de Dieu et de son Église, sont ainsi devenus les droits des oligarques à manipuler les hommes à leur guise. D’abord discrédité aux yeux des élites, le projet moderne des droits de l’homme est aujourd’hui en lambeaux aux yeux des gens ordinaires.

Mais qu’est-ce qui s’élève pour prendre la place du projet libéral moderne et mondialiste de liberté (sans Dieu et sans l’Église) et de droits illimités pour tous ? Loin d’un « âge conservateur », j’y vois la montée d’un nouvel âge tribal, où, dans une triste répétition du récit biblique, les citoyens de la Babel mondiale unique, manquant de terrain d’entente philosophique et théologique, se trouvent incapables de communiquer et se sont donc « retraditionalisés », c’est-à-dire qu’ils se sont enfermés dans des tribus autosuffisantes dans l’espoir de conserver un semblant de santé mentale au milieu de l’effondrement. Loin de l’âge d’or glorieux du conservatisme, nous descendons dans une ère de tribalisme qui rappelle les invasions barbares qui ont fini par détruire l’Empire romain. Sauf qu’aujourd’hui, les barbares ont des armes nucléaires.

Quelle est donc la solution à l’effondrement imminent de l’ordre mondial libéral et à l’avènement d’une nouvelle ère tribaliste ? Pour faire simple, nous devons dépasser l’ordre mondial libéral stérile et le tribalisme sans espoir pour affirmer la royauté sociale du Christ. En réponse aux deux erreurs fondamentales du libéralisme — le rejet de la philosophie classique ou de l’aristotélisme, et le rejet de l’autorité spirituelle et morale de l’Église catholique —, la doctrine de la royauté sociale du Christ affirme l’importance essentielle de la philosophie classique et la nécessité pour tous les corps sociaux, jusqu’à l’État, de reconnaître l’autorité de l’Église catholique dans les domaines de la foi et de la morale. Cette doctrine a été exposée sans relâche par les papes modernes depuis la Révolution française jusqu’au Concile Vatican II [2], notamment par Pie IX, Léon XIII et Pie XI qui, avec son encyclique Quas Primas (sur le Christ-Roi), a institué une fête affirmant la royauté du Christ sur les nations, contre ce qu’il appelait le fléau du laïcisme. Mais c’est Léon XIII qui a le plus brillamment défendu l’enseignement immuable de l’Église sur les relations entre l’Église et l’État, la foi et la raison, et la nécessité de conjuguer le souci des droits de l’homme avec celui, tout aussi pressant, des droits de Dieu [3]. C’est également Léon XIII qui a réaffirmé l’attachement de l’Église à la philosophie classique en faisant l’éloge, dans son encyclique Æterni Patris, de son plus grand promoteur catholique, Saint Thomas d’Aquin.

La solution à l’effondrement de l’ère libérale et au début de l’ère tribale est donc simple, même si elle est difficile : pour rassembler ce qui reste de l’humanité en un tout unique et harmonieux, il est nécessaire d’œuvrer en faveur d’un ordre mondial global qui rejette la fausse philosophie du soi-disant siècle des Lumières et embrasse la véritable philosophie de toujours, telle qu’elle est incarnée par les œuvres de saint Thomas d’Aquin et de ses disciples. Il est également nécessaire d’évangéliser pour rendre possible la soumission pacifique et volontaire des nations disparates du monde à l’autorité spirituelle et morale de l’Église catholique, sans laquelle il n’y aura jamais de paix véritable et durable entre les nations.

[1] Pour une défense contemporaine, engageante, complète et très divertissante de cette affirmation, voir La dernière superstition d’Edward Feser.

[2] La royauté sociale du Christ est encore enseignée, quoique discrètement et sans doute sous une forme modifiée, dans le Catéchisme de Jean-Paul II (1993), aux numéros 2105-2109.

[3] Voir, entre autres, ses encycliques Immortale Dei et Libertas præstantissimum.



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