Socrate.
Richard Bastien, 30 août 2019 — Photo : solut_rai/Pixabay
Le camp des « pro-choix » soutient que la position « pro-vie » repose sur des croyances religieuses plutôt que sur la raison. Pourtant, rien n’est plus faux. La position pro-vie repose avant tout sur la raison naturelle et la logique.
Les pro-vie ont beau être croyants, les arguments qu’ils invoquent pour s’opposer à l’avortement n’ont rien à voir avec la religion. Ils comprennent parfaitement que la politique relève de la raison ― une raison qui n’est pas seulement technique ou calculatrice, mais aussi morale, puisque le but ultime de la politique, qui est la paix et la justice, est lui-même moral.
Quelle est donc cette logique non religieuse associée à la position pro-vie ?
Elle repose sur la notion de loi naturelle, une notion défendue initialement par des philosophes grecs et romains, comme Aristote et Cicéron, ayant vécu avant l’avènement du christianisme.
La loi naturelle est inscrite au cœur même de nos traditions juridiques et politiques. Elle sous-tend des documents fondateurs comme la Magna Carta Anglaise (1215), la Déclaration d’indépendance (1776) des États-Unis, la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies (1948) et la Convention européenne des droits de l’homme (1953).
Au vu de la loi naturelle, certains actes humains sont intrinsèquement bons ou mauvais et toute personne normale est dotée d’une conscience morale lui permettant de distinguer le bien du mal. Nul besoin donc de faire appel aux croyances religieuses pour s’opposer à l’avortement. Ce que les « pro-vie » réclament, c’est un État plus humain!
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Si l’opposition à l’avortement est enracinée dans la loi naturelle, force est de démontrer qu’elle était respectée dans les sociétés non chrétiennes. Les preuves sont écrasantes.
Les Sumériens ont condamné l’avortement il y a environ 4 000 ans. De même les Babyloniens, dont le code de droit, baptisé Code d’Hammurabi, a été élaboré il y a plus de 3 700 ans. Au cinquième siècle avant l’ère chrétienne, le médecin grec Hippocrate a enchâssé la condamnation de l’avortement dans le serment qui porte son nom. Jusqu’à son abandon par la plupart des écoles de médecine dans les années 1970, ce serment obligeait tous les médecins à prendre tous les moyens à leur disposition pour protéger la vie de l’enfant à naître. Plus près de nous, la Déclaration de Genève, version modernisée du serment d’Hippocrate adoptée par l’Association médicale mondiale en 1948, affirme spécifiquement : « Je maintiendrai le plus grand respect pour la vie humaine, dès la conception. »
La Déclaration des Nations Unies de 1959 sur les droits de l’enfant s’inscrit dans la même lignée : « L’enfant, en raison de son immaturité physique et mentale, a besoin de protection et de soins spéciaux, y compris une protection juridique appropriée, avant et après la naissance. » Les pays sans tradition chrétienne ont approuvé la déclaration.
Beaucoup rejettent la notion de loi naturelle en prétendant que les systèmes moraux diffèrent au gré des civilisations et des époques. Pourtant, l’étude comparative des civilisations apporte un démenti formel à cet argument. Comme C.S. Lewis l’a démontré dans L’abolition de l’homme, si l’on compare les prescriptions morales des anciens Égyptiens, des Babyloniens, des Hindous, des Chinois, des Grecs et des Romains, ce qui est remarquable, ce ne sont pas leurs différences, mais leurs similitudes.
En outre, ceux qui rejettent la notion de loi naturelle n’ont aucun scrupule à juger les gens et à les classer comme « bons » ou « mauvais ». Ce faisant, ils se trouvent à faire implicitement appel à une norme objective de ce qui est bon et ce qui est mauvais, niant ainsi le relativisme moral dont ils se réclament.
Cette attitude contradictoire est caractéristique des défenseurs de l’avortement. Ils soutiennent qu’il appartient à chacun de déterminer pour lui seul si l’avortement est bon ou mauvais. Pourtant, si tuer un enfant à naître est affaire de préférence personnelle, pourquoi tuer ou agresser un nouveau-né ne le serait-il pas aussi? Il est tout à fait irrationnel d’affirmer, d’une part, qu’un nouveau-né (y compris un enfant prématuré) a un droit inviolable à la vie et, d’autre part, de nier ce droit à un enfant à naître. Et il est tout aussi irrationnel de demander à des médecins de tuer un enfant à naître, le but de la médecine étant de préserver et de protéger la vie humaine, et non d’y mettre fin.
Enfin, si une femme a le droit de contrôler son corps, comme on le prétend souvent, pourquoi l’État devrait-il exiger le port de la ceinture de sécurité dans les voitures ou interdire la vente et la consommation de drogues dures ?
La position pro-choix est incompatible avec la préservation d’une société libre. Pour que la liberté reste vivante, deux principes sont nécessaires. Le premier veut que nous soyons tous responsables les uns des autres; d’où l’importance de l’interdépendance et la règle selon laquelle l’individu atteint son propre accomplissement au service des autres.
Le deuxième principe veut que chaque vie humaine ait une valeur intrinsèque. Cette idée constitue la base des droits individuels. Elle fait partie intégrante de la loi morale et se trouve au cœur même de nos traditions politiques. Elle sert généralement de justification à l’opposition à la peine capitale.
La position pro-choix est incompatible avec ces deux principes. En affirmant que l’avortement est une affaire privée, elle nie la responsabilité que nous avons les uns envers les autres. En définissant la valeur de la vie uniquement par rapport à la société ou aux personnes touchées par celle-ci, elle nie la valeur intrinsèque de la vie. Il est impossible d’être pro-choix sans reconnaître implicitement que certaines vies humaines peuvent être sacrifiées sur l’autel de la commodité personnelle.
Telle est la vision utilitariste du monde : tout ce qui convient à notre confort et à notre utilité est permissible. Aucune action n’est bonne ou mauvaise en soi. Est bon tout acte dont les avantages dépassent les inconvénients, mauvais celui correspondant au cas inverse. Bref, la fin justifie les moyens.
Le prétendu droit à l’avortement, en plus d’assujettir la vie de l’enfant à naître à une volonté arbitraire (celle de sa propre mère), remet en question la notion de liberté qui est au cœur de notre État de droit. Il postule en effet que cette liberté est celle du plus fort. Il avilit ainsi la société qui l’admet et l’État qui le légitime.