Bernard Landry.
Par l'historien Jean-Claude Dupuis Ph. D.
Au lendemain du 15 novembre 1976, les Québécois, même fédéralistes, étaient impressionnés par la qualité du conseil des ministres de René Lévesque. Bernard Landry était l’un d’eux. Nul doute qu’il avait une envergure intellectuelle que l’on ne retrouve plus guère dans la classe politique actuelle. Mais n’oublions pas qu’il faisait partie du gouvernement qui a rendu l’avortement accessible sur simple demande. Cependant, je ne veux pas traiter ici de son œuvre politique, mais de sa formation académique.
L’ancien ministre des Affaires culturelles, Denis Vaugeois, a fait remarquer que les membres du fameux gouvernement péquiste de 1976 étaient tous d’origine familiale modeste et qu’ils avaient tous été formés dans les collèges classiques, au temps de la prétendue « grande noirceur » duplessiste. Ce fait réfute à lui seul la légende du caractère rétrograde et non démocratique du système d’éducation catholique d’avant la Révolution tranquille. Mathieu Bock-Côté souligne également que la belle culture générale d’un Bernard Landry était le fruit de la pédagogie humaniste fondée sur l’étude du latin et du grec, de la littérature française du XVIIe siècle, de la philosophie thomiste et de l’histoire groulxiste. Bref, sur tout ce que le Rapport Parent a jeté aux poubelles (JDM, 15-11-2018).
La pédagogie classique entendait former l’intelligence par les études littéraires plutôt que scientifiques. La littérature ouvre l’esprit aux problèmes divergents, c’est-à-dire aux questions complexes qui ne se répondent pas en noir ou blanc. Les études scientifiques tendent, au contraire, à former des intelligences mécaniques qui recherchent une réponse unique à la question. C’est la fameuse distinction entre l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie, dont parlait Blaise Pascal.
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Les premières années du cours classique (12-16 ans) étaient consacrées à la grammaire française et latine. C’était un peu rébarbatif, mais cela préparait bien les élèves pour la seconde partie du cursus (17-21 ans), centrée sur la littérature et la philosophie. Lorsque l’on est capable d’analyser grammaticalement un texte pour le traduire du latin au français, ou du français au latin, on peut davantage comprendre un raisonnement subtil. La connaissance du latin pourrait sembler inutile puisque c’est une langue morte. Mais elle affine la maîtrise de la langue et des idées. C’est comme la musculation dans le sport. Un joueur de hockey n’a pas à lever des poids durant un match. Mais les exercices de musculation l’aideront à performer sur la glace. Pourquoi nos jeunes ont-ils tant de mal à suivre un cours de philosophie, de littérature ou d’histoire au cégep ? Parce qu’ils ne maîtrisent pas assez la grammaire pour saisir avec précision la pensée d’un auteur. Après le cours classique, on oubliait peut-être le latin, mais on conservait l’intelligence de la langue française.
La pédagogie classique ne négligeait pas l’étude des sciences physiques, mais elle la reportait à la fin du cursus, après que l’intelligence de l’élève ait été formée par la discipline des lettres anciennes. L’esprit de géométrie s’ajoutait à l’esprit de finesse. Le grand mathématicien français, Henri Poincaré (1854-1912), disait qu’il pouvait facilement distinguer, parmi ses étudiants, ceux qui avaient fait leurs humanités classiques (latin et grec) dans les collèges catholiques de ceux qui n’avaient fait que les humanités modernes (anglais et allemand) dans les lycées laïques. Les premiers étaient plus aptes que les seconds à bien suivre un raisonnement mathématique.
Les auteurs du Rapport Parent avaient eux-mêmes étudié dans les collèges classiques. Se sont-ils jamais plaints de leur inculture littéraire ou scientifique ? Mais ils n’ont pas voulu transmettre ce qu’ils avaient reçu, contrairement à saint Paul.