Par Peter Kwasniewski ― traduit par Campagne Québec-Vie ― Photo : Wikimedia Commons
Le 4 juin 2019 (LifeSiteNews) ― Chaque année, alors que la chaleur estivale approche, le même problème de la pudeur se présente toujours, et ce, de plus en plus. L’Occident court à sa perte et rejette toute norme morale et toute coutume qui autrefois assuraient un minimum de respect de soi et de sensibilité aux autres. Rien de moins qu’une révolution morale, la reconstruction à partir de zéro d’une notion de vertu la plus élémentaire, voilà ce qu’il nous faut. Un défi de taille, certes. Et nous n’avons aucune garantie de pouvoir détourner le cours de la culture en général (je dirais plutôt, là où nous en sommes rendus, anticulture). Mais il n’est pas impossible de reconstituer ces notions au sein des noyaux chrétiens de la population, si seulement on s’attelle à la tâche avec courage, sans ambages et dans le calme. Je tenterai d’en faire un survol moi-même dans les deux articles consacrés au sujet cette semaine.
Saint Thomas d’Aquin explique que la notion de « modestie », qu’on parle de la garde-robe, des propos ou du comportement, tire son origine de la modération, une manière digne d’agir qui prend les autres en considération et trouve le droit chemin entre deux extrêmes. Dans notre exemple, les extrêmes sont l’impudicité (jusqu’au point de l’effronterie, de loin la plus courante des deux aujourd’hui) et la pudeur exagérée (ou l’inhibition malsaine).
Comme toutes les autres vertus, l’habitude de la modestie nous donne non seulement la possibilité de désirer et de choisir ce qui est bien à cet égard, mais elle nous incite à le faire. Elle devient en nous une seconde nature, une bonne disposition. Saint Thomas nous rappelle également que la pudeur nous aide à apprécier les biens corporels et leur accorder la place qu’ils méritent. Lorsque circonstances et personnes en question conviennent, les passions de la concupiscence sont bonnes et servent à poser des gestes vertueux désirés par le Créateur.
La personne pudique, ou modeste, est celle dont les actions et l’extérieur manifestent habituellement la maîtrise de soi, un bon jugement sensé, la maturité émotionnelle, la possibilité d’exprimer son « être » sereinement, sans tambour ni trompette. Ainsi, la vraie pudeur commence dans l’âme et se fait remarquer seulement plus tard des yeux et des oreilles d’autrui. Une telle pudeur intérieure règle toute la vie d’une personne de manière calme, douce, respectueuse et pure. S’habiller simplement, éviter les danses immodestes, toutes ces choses découleront d’un intérieur pudique.
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Les sociétés occidentales modernes se défont de la pudeur nécessaire pour la santé la plus élémentaire de toutes les sociétés : les gens s’habillent et se comportent pour attirer la mauvaise attention du sexe opposé ― une attention abaissante, dominante, voire animale. On fait étalage du vice contraire [à la vertu de pudeur].
Beaucoup de chrétiens bien intentionnés, qui souhaiteraient vivre la chasteté, semblent ignorer le lien entre la pureté de cœur et la modestie vestimentaire, entre l’engagement à la vertu et la manière dont le corps est présenté aux autres. Ignorance qui frappe en raison du caractère évident de ce lien et qui est un signe de la dépravation de notre époque.
Les jeunes catholiques cherchent la pureté mais continuent de s’habiller à la manière de leurs contemporains du monde ― pour provoquer ou simplement d’une manière qui ne convient pas. Les Journées mondiales de la jeunesse en sont un triste exemple, où au-delà de l’impudeur vestimentaire, on constate un étonnant manque de sensibilité au sacré et au solennel.
Les personnes modernes semblent semblent avoir adopté un seul critère : le confort. Tout ce qui est susceptible d’engendrer la moindre sensation pénible est rejeté d’emblée. Donc, lorsqu’il fait chaud, les chrétiens font ce que font leurs pairs de ce siècle, qui ne pensent ni à plaire à Dieu ni à faciliter la pratique de la chasteté pour les autres et pour soi-même, mais seulement à ce qui est facile ou qui leur gagnera l’approbation d’autrui. Un ascétisme sain et modéré pousserait les chrétiens à rejeter ce genre d’obstination à choyer le corps et à céder à toutes ses caprices. Saint Paul donne la description suivante du croyant : « portant toujours dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. » (2 Co 4, 10).
Qui ne s’est jamais étonné de ces vieilles photos en noir et blanc de nos ancêtres pionniers, qui malgré la chaleur accablante de l’été, portaient des vêtements qui les recouvraient de la tête aux pieds ? Je n’insinue pas que nous devrions aller jusqu’à cette extrême, mais nous ferions bien de tirer profit de leur droiture et de leur endurance. Les activités à ciel ouvert dans la chaleur (randonnées, sport) doivent être prises en compte, mais il y a des solutions pudiques et impudiques à toutes les situations. S’habiller de manière pudique ne signifie pas forcément s’habiller de manière lourde, surtout grâce aux matériaux disponibles aujourd’hui. Il existe des vêtements légers et opaques qui couvrent les épaules et descendent jusqu’aux chevilles, par exemple.
Inutile de prétendre que la manière dont nous traitons notre corps, nos habitudes à table, notre tenue, notre démarche, ne sont tous que des «détails» de notre vie spirituelle ; elles sont, bien au contraire, essentielles. Là aussi, nous manifesteront au monde soit la vie de Jésus, soit un esprit contraire. L’usage que la personne fait de son corps (en apparence et autrement) révèle beaucoup sur la vie de son âme : ce qu’elle pense d’elle-même ou des autres, ce qu’elle désire d’elle-même et des autres. En effet, les apparences ne sont pas toujours aussi trompeuses qu’on ne le croie : le message, c’est le médium.
Le sujet est grave, mais la divine révélation n’est pas pour autant muette. « Je veux … que les femmes prient vêtues d’une manière décente, qu’elles se parent avec pudeur et réserve, et non de tresses ou d’or, ou de perles, ou d’habits somptueux, mais de bonnes œuvres, comme il convient à des femmes qui font profession de piété » (1 Tm 2, 8-10). Notre comportement et notre extérieur sont inséparables de la vie chrétienne. C’est une des marques du chrétien dans le monde. La pudeur, tout comme la paix, est d’abord un bien de l’âme, mais elle déborde bien au-delà de l’âme et affecte (positivement) toute vie en société. Car notre monde moderne a un criant besoin de modèles de maîtrise de soi et de dignité. Les chrétiens peuvent et doivent donner l’exemple. L’absence de l’excès en soi est digne de se faire connaître.
C’est par la vertu de la piété que nous rendons au Dieu tout-puissant tout ce que nous pouvons lui donner : notre personne, notre corps, notre âme, dans un acte fidèle d’amour. Voilà pourquoi la pudeur est à la fois une conséquence et une sauvegarde de la piété.
Saint Thomas nous dit que la sainteté consiste dans deux choses : être pur et tenir ferme. « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu » : oui, heureux ceux qui préservent la pureté de leur âme et de leur corps, pour pouvoir aimer Dieu de tout leur être. La vision béatifique ― grand objectif et joie de la vie chrétienne ― est le principe directeur par lequel notre cœur, nos paroles, nos mouvements et notre extérieur demeureront purs, non souillés, simples et sobres. C’est ainsi que nos vies se conforment à celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ et manifestent, à un monde déchu et souillé, la resplendissante innocence, la paix sereine et l’ineffable fraîcheur du Saint-Esprit.