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L’abolition de la peine de mort et la dignité humaine

Par Liam Gibson (Voice of the Family) — Traduit par Campagne Québec-Vie — Photo : Lucas/Wikimedia Commons

Le 15 mai 2017, l’un des tueurs d’enfants les plus célèbres de Grande-Bretagne, Ian Brady, est décédé de causes naturelles à l’hôpital de haute sécurité d’Ashworth, près de Liverpool. Brady a été reconnu coupable du meurtre de Lesley Ann Downey (10 ans), John Kilbride (12 ans) et Edward Evans (17 ans) en avril 1966. [1] Sadique et ne montrant aucun signe de remords, il a été considéré comme un psychopathe et n’a jamais été libéré de prison. En octobre 1999, Brady a réclamé le droit de mourir et a menacé de se laisser mourir de faim plutôt que de passer le reste de sa vie derrière les barreaux. En mars de l’année suivante, la Haute Cour a toutefois jugé que, compte tenu de son état mental, les médecins pouvaient légalement le nourrir de force s’ils estimaient que sa vie était en danger.

Si Brady avait été condamné quelques années plus tôt, il aurait probablement encouru la peine de mort. La loi sur le meurtre (abolition de la peine de mort), qui a reçu la sanction royale le 8 novembre 1965 et est entrée en vigueur le lendemain [2], a suspendu l’application de la peine capitale pendant cinq ans en cas de meurtre. En 1969, le Parlement a rendu cette suspension permanente. Il a fallu attendre l’adoption de la Loi sur les droits de l’homme en 1998 pour que la peine de mort soit totalement abolie, même en temps de guerre.

Justice et droit à la vie

Elizabeth Anscombe commence son essai, War and Murder (Guerre et meurtre), en affirmant que, puisqu’il y aura toujours des personnes prêtes à commettre des meurtres et d’autres crimes violents, il y aura toujours besoin de personnes qui commandent la violence pour faire respecter les lois interdisant de tels actes. Elle pose ensuite la question suivante : « Quelle est l’attitude juste face à l’exercice d’un pouvoir coercitif violent de la part des dirigeants et de leurs subordonnés » [3] ?

Pour Anscombe, le recours à la force, même mortelle, n’est pas mauvais en soi. Pour elle, la question essentielle est celle de la justice : la cause est-elle juste ou la violence est-elle infligée à des innocents ? Elle soutient que, puisqu’il est légitime pour les autorités légales d’utiliser la violence pour faire face à des actes d’agression à l’intérieur d’un État, il est légitime de faire la guerre aux agresseurs dans un autre État si la cause est juste. Elle considère que le point de vue du pacifiste selon lequel toutes les guerres sont également mauvaises n’est pas seulement irréaliste, mais aussi moralement dangereux. Le pacifisme, affirme-t-elle, « enseigne aux gens à ne faire aucune distinction entre l’effusion de sang innocent et l’effusion de n’importe quel sang humain ».

Que l’évaluation du pacifisme par Anscombe soit exacte ou non, il y a de bonnes raisons de penser qu’en ce qui concerne la peine de mort, sa thèse était correcte. En Grande-Bretagne, alors que le droit à la vie des meurtriers condamnés est considéré comme inviolable, la vie des innocents est considérée avec indifférence.

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En 1983, reconnaissant « une tendance générale en faveur de l’abolition de la peine de mort » dans plusieurs États membres, le Conseil de l’Europe a ajouté le protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l’homme. Ce protocole interdit toutes les exécutions en temps de paix ; aucune dérogation ou réserve n’est autorisée. Puis, en 2002, le protocole 13 a interdit la peine de mort en temps de guerre. Cette fois, le préambule du protocole explique clairement la raison de son adoption. Il vise à « renforcer la protection du droit à la vie ». « L’abolition de la peine de mort est essentielle à la protection de ce droit et à la pleine reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains », affirme-t-il.

Paradoxalement, au cours des 20 années qui ont suivi son adoption, la protection du droit à la vie n’a cessé de s’affaiblir. Les lois sur l’avortement en Europe sont devenues de plus en plus permissives, tandis que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté a continué à répandre la culture de la mort sur le continent. Dans le même temps, la représentation du meurtrier condamné comme un individu vulnérable ayant besoin d’être protégé de la violence sanctionnée par l’État a, comme Anscombe l’avait prédit, contribué à effacer la distinction entre la vie des innocents et celle de leurs prédateurs.

Peu de gens contesteront que, depuis l’arrêt de la pratique de la peine capitale en 1965, la société britannique a perdu radicalement le respect de la vie humaine à tous les stades. L’avortement eugénique est autorisé jusqu’à la naissance et, bien que les tentatives de légalisation du suicide assisté aient jusqu’à présent échoué, les personnes profondément handicapées peuvent être légalement privées de nourriture et de liquides dans le but de mettre fin à leur vie. Le Service national de santé du Royaume-Uni est également devenu internationalement célèbre pour l’enlèvement virtuel d’enfants gravement malades afin d’empêcher leurs familles de chercher un traitement potentiel à l’étranger. Et, bien qu’un nombre incalculable de vies soient perdues à cause de la fécondation in vitro et de l’exploitation d’embryons humains, c’est l’élimination des handicapés, des personnes âgées et des malades en phase terminale qui a été la force motrice du changement sans précédent de la culture juridique britannique au cours des 58 dernières années. Cette évolution est due au remplacement progressif de la vision chrétienne de l’homme créé à l’image de Dieu par la conviction que la dignité humaine est fondée sur l’autonomie. Dans une grande partie de la profession médicale, le respect de la dignité d’un patient signifie simplement le respect de son autonomie. [4] Les personnes qui ont perdu leur autonomie sont considérées comme menant une vie dépourvue de dignité. Celles qui ont perdu leur capacité mentale à la suite d’une maladie organique ou d’une lésion cérébrale préféreraient probablement mourir plutôt que de continuer à vivre « sans dignité », suppose-t-on.

Malheureusement, ces dernières semaines, le cas de Sudiksha Thirumalesh a assombri ce sombre tableau. Sudiksha (19 ans) était atteinte d’une maladie génétique mitochondriale rare qui provoquait une faiblesse musculaire chronique, une perte d’audition et la rendait dépendante de la dialyse. Elle souhaitait se rendre en Amérique du Nord pour y suivre un traitement expérimental, mais ses médecins ont affirmé qu’elle délirait parce qu’elle n’acceptait pas sa mort. Dans son désir de vivre, Sudiksha a intenté une action en justice pour être autorisée à voyager. Malgré le témoignage de deux psychiatres qui ont affirmé que son esprit n’était pas affecté par sa maladie, la Cour de protection a jugé qu’elle était incapable de décider de ce qui était dans son intérêt. À la demande du NHS, le juge a ajouté l’insulte à la blessure en émettant une ordonnance dite de transparence, empêchant la famille de Sudiksha de faire connaître son sort ou de collecter des fonds pour un traitement au Canada. Les affaires précédentes de ce type concernaient de jeunes enfants incapables de s’exprimer par eux-mêmes. Mais Sudiksha était une adulte mentalement compétente et capable de s’exprimer. Néanmoins, un tribunal britannique a une fois de plus entériné une décision fatale du corps médical.

Sudiksha est décédée d’un arrêt cardiaque le 12 septembre 2023, avant qu’un appel ait pu être entendu. Les restrictions de déclaration n’ont été levées que dix jours plus tard. La froide détermination dont ont fait preuve les tribunaux et le corps médical pour entraver tous les efforts visant à sauver la vie d’une jeune femme innocente constitue un sinistre avertissement de ce que pourrait devenir le NHS si le suicide assisté était légalisé en Grande-Bretagne.

Le « Code sanglant » et la marque de Caïn

Il existe de nombreux arguments valables, rationnels et convaincants en faveur de l’abolition de la peine capitale et il ne fait aucun doute qu’elle a fait l’objet de nombreux abus au cours de son histoire [5]. Entre 1688 et 1820, le nombre de crimes passibles de la peine de mort en Angleterre et au Pays de Galles est passé de 50 à plus de 220. [6] Outre les infractions majeures — vol, viol, piraterie, meurtre, etc. — le « Code sanglant », comme on l’appelait, comprenait des infractions mineures telles que la destruction d’un étang à poissons ou l’abattage de jeunes arbres, même si la peine pour les infractions mineures était souvent commuée en peine d’emprisonnement ou de transport. En 1832, le ministre de l’Intérieur, Sir Robert Peel, avait veillé à ce que seuls les délits les plus graves soient punis de la peine la plus sévère et, à partir de 1840, la Chambre des communes a voté à huit reprises au moins des mesures qui auraient aboli la peine de mort, mais il a fallu attendre près de 100 ans après la fin des exécutions publiques, en 1868, pour que la cause de l’abolition bénéficie d’un soutien similaire. [7]

Ces changements d’attitude à l’égard de la peine de mort sont également perceptibles au sein de l’Église catholique. L’idée qu’une autorité temporelle légitime a le droit de recourir à la force meurtrière pour faire respecter la loi ou punir les coupables est inscrite dans la loi mosaïque. Cela peut toutefois être compris, comme pour le divorce, comme une concession due à la dureté de cœur du peuple (Mt 19,8). La peine de mort offrait également une alternative à la vengeance personnelle. Dans les années 1860, Antonio Rosmini souligne que, dans la Genèse, Dieu « a mis une marque sur Caïn pour que quiconque le trouve ne le tue pas » pour le meurtre d’Abel (Gn 4, 15). Selon Rosmini, Dieu oppose la loi positive à la loi naturelle et à l’instinct de rétribution morale. [8]

Malgré cela, l’Église n’a jamais enseigné que la peine de mort était en soi illicite, mais elle a averti que ceux qui condamnent injustement des innocents à mort devront un jour rendre compte à Dieu de l’abus de leur pouvoir.

L’édition 1997 du Catéchisme de l’Église catholique (paragraphe 2267) reconnaît l’usage légitime de la peine capitale, mais introduit une mise en garde :

« L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains. »

Un changement bien plus important est intervenu en 2018, lorsque le pape François a publié un rescrit de cette section qui stipule ce qui suit :

« Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée a la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun. »

« Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. »

« C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que “la peine de mort est inadmissible car elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne”, “et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde” » [9].

Il ne s’agit pas tant d’un développement de l’enseignement de l’Église que d’une rupture radicale avec le passé. L’affirmation plate selon laquelle la société a acquis une conscience accrue de la dignité de la personne n’est pas seulement manifestement fausse, mais elle tourne en dérision les innombrables vies perdues chaque année à cause de l’avortement, de l’infanticide et de l’euthanasie. Dans sa dernière exhortation apostolique, Laudate Deum, le pape François affirme de manière tout aussi douteuse que le changement climatique est une question « intimement liée à la dignité de la vie humaine ». [10] En fait, dans le vêtement sans couture de l’écologie, les êtres humains individuels ont été dévalorisés alors que le statut de l’humanité en général s’est perdu dans l’immensité de la création. De même, l’évangile de la justice sociale a brouillé la distinction entre les meurtriers et leurs victimes, comme le montre la campagne visant à dépénaliser complètement l’avortement en Grande-Bretagne.

L’abandon de l’enseignement pérenne de l’Église par le biais d’une révision du catéchisme a également soulevé la perspective que le pape François cherchera à rendre d’autres enseignements catholiques plus acceptables pour le monde séculier. La question de savoir si ces inquiétudes sont justifiées apparaîtra plus clairement après la conclusion du Synode sur la synodalité. En attendant, les preuves qui justifient la mise en garde d’Anscombe contre l’incapacité à faire la distinction entre « l’effusion de sang innocent et l’effusion de tout sang humain » se renforcent de semaine en semaine.


Notes

1. Brady a également reconnu le meurtre de Pauline Reade (16 ans) et de Keith Bennett (12 ans).

2. Cette loi ne s’applique pas à l’Irlande du Nord, où la peine capitale a été abolie en cas de meurtre par la loi de 1973 sur l’Irlande du Nord (Pouvoirs d’urgence).

3. G E M Anscombe, « War and Murder » dans Walter Stein (ed), Nuclear Weapons : A Catholic Response (Sheed & Ward, 1961), pp. 44-52.

4. Ruth Macklin, "Dignity is a useless concept, it means no more than respect for persons or their autonomy" (La dignité est un concept inutile, elle ne signifie rien d’autre que le respect des personnes ou de leur autonomie), (2003) 327 BMJ. p1419.

5. Par exemple, les erreurs judiciaires, l’impossibilité d’un procès équitable dans une société polarisée, la création de martyrs pour une cause politique et la pendaison du « singe » au lieu du « broyeur d’organes ».

6. John Walliss. The Bloody Code in England and Wales, 1760-1830 (Le code sanglant en Angleterre et au Pays de Galles, 1760-1830), (Palgrave MacMillan, 2018), p 1.

7. Randall McGowen, "History, Culture and the Death Penalty : The British Debates, 1840-70", Historical Reflections, 29, 2, Interpreting the Death Penalty : Spectacles and Debates (Summer 2003), pp 229-30. La question a été débattue en 1840, 1841, 1847, 1848, 1849, 1850, 1856, 1864, 1866, 1868 et 1869.

8. Antonio Rosmini, The Philosophy of Right: Rights of the Individual, Denis Cleary et Terence Watson (trans) (Rosmini House, 1971) p 465.

9. Nouvelle révision du numéro 2267 du Catéchisme de l’Église catholique sur la peine de mort - Rescriptum « ex Audentia SS.mi » (2 août 2018).

10. Pape François, Laudate Deum, 3 (4 octobre 2023).



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