Par Georges Allaire
Le suicide des gravement souffrants
Le présent débat sur l'euthanasie fixe l'attention sur les malades gravement souffrants. Rares sont les gens qui peuvent envisager une telle souffrance avec sérénité. Surtout à une époque où le plaisir et le déplaisir sont devenus synonymes de bonheur et de malheur. On peut ainsi prévoir qu'avec l'usure du temps, des sensibilités autrement formées vont se rallier à la solution finale d'éliminer le souffrant pour éliminer sa souffrance.
L'euthanasie présentement proposée à notre conscience porte uniquement sur le suicide des malades gravement souffrants. Il n'est pas question de tuer quelqu'un à l'encontre de sa propre volonté: uniquement de reconnaître son "droit" de mettre fin à ses propres jours.
L'alternative à l'euthanasie est la reconnaissance de la valeur de la vie de cette personne et tout le dérangement que cela implique. Aussi, quand le malade aura décidé de déposer le fardeau qu'il porte et qu'il impose, le soulagement sera plausiblement aussi grand, sinon plus, pour les siens et pour les services sociaux que pour lui-même. Matériellement, on n'engouffrera plus une fortune de biens et de services à le maintenir en vie. Psychologiquement, on n'aura plus le fardeau de lui tenir compagnie et de lui offrir réconfort.
×
Campagne de financement -- Carême et Pâques 2024
6268,12 $ recueillis
-- Objectif: 15 000 $. Il reste seulement 5 jours -- Merci de votre générosité.
|
L'accroissement des suicidés
Dès lors qu'on aura reconnu le "droit" au suicide des malades, on peut prévoir un accroissement rapide de l'exercice de ce "droit". En effet, l'accent ne sera plus mis sur l'encouragement de la personne à endurer et à persévérer dans la souffrance. Il sera mis sur l'encouragement à s'éliminer lorsque la souffrance sera particulièrement atroce. On exercera moins d'effort pour tirer une personne du creux dépressif qu'elle peut éprouver. On proférera plutôt des encouragements pour qu'elle s'y enfonce définitivement. Et va pour les uns.
Quant aux autres? La dépréciation du courage dans la souffrance entraînera la dépréciation des personnes qui exercent un tel courage. Le mépris accroîtra la solitude dans laquelle des souffrants combattent et contribuera à provoquer une dépression finale qu'ils auraient autrement pu éviter.
Les imperméables? Influencés par le "bon sens" de ceux qui auront vidé les lieux, les moyennement proches et les agents sociaux qui entourent les grands souffrants tenaces exerceront une véritable pression "charitable" pour que ces derniers se hâtent de suivre cet exemple, i.e. de se suicider: "Voyons, mon bon monsieur, soyez raisonnable!"
L'accroissement des raisons du suicide
Maintenant, les raisons de suicide pour les gravement malades vont aussi se multiplier. Moins on encaisse, moins on peut encaisser. Avec la disparition des souffrances présumées insupportables, les souffrance présumées supportables le paraîtront moins. Car on sera alors parmi les plus souffrants. D'ailleurs, l'aisance avec laquelle d'autres ont cessé de souffrir sera tout autant fascinante, et possiblement plus, pour les souffrants moyens que pour leurs proches et les agents sociaux devant leur porter soins et assistance. Par exemple, le paralysé généralisé étant parti définitivement, le paralysé partiel pourra s'inviter et être invité à suivre ce chemin.
Dès lors que le "droit" au suicide thérapeutique sera reconnu, il faudra bien admettre que le mal de l'âme vaut bien, sinon plus, le mal du corps. A témoin ces gens qui portent dans la paix leur souffrance physique et ceux qui éprouvent une souffrance de vivre malgré leur santé physique. La solution finale doit alors être autorisée autant dans les cas de maladies psychologiques que dans les cas de maladies physiques. Et les maladies psychologiques sont sans limite.
L'universalisation du suicide
On ne saurait exercer de discrimination entre les gens en raison de leur âge ou de leur milieu de vie. Ainsi arrive-t-on à respecter et à faciliter le "droit" au suicide des moyennement vieux, des moyens, des moyennement jeunes et jusqu'à un certain point des jeunes. Quand une jeune fille de quatorze ans peut exercer la discrétion sur la vie qu'elle porte en son sein, sans droit d'intervention de ses parents, il n'y a pas plus de raison pour qu'elle n'ait pas le droit d'exercer la même discrétion sur sa propre vie qu'elle porte dans son corps, son coeur et son esprit. Le tout est de laisser le temps aux mentalités de s'y adapter.
Enfin, entre vous et moi, voyez-vous une raison sérieuse de ne pas profiter de l'aubaine du suicide dans un tel monde?
Voilà l'impitoyable logique d'une pitié qui éliminerait la personne souffrante pour éliminer sa souffrance.
|