L’historien Jean-Claude Dupuis : Un regard critique sur Paul Gérin-Lajoie
Paul Gérin-Lajoie.
Par l’historien Jean-Claude Dupuis, Ph. D.
Le fondateur du ministère de l’Éducation du Québec, Paul Gérin-Lajoie (1920-2018), a reçu à l’occasion de son décès un éloge unanime et dithyrambique des médias et de la classe politique. Sa réforme scolaire (1964-1966) aurait fait entrer notre société dans la « modernité ». Nos intellectuels bien-pensants, qui ont tant vilipendé le prétendu « monolithisme idéologique » du Québec duplessiste, tiennent un discours plutôt monolithique. La réforme Gérin-Lajoie avait pourtant soulevé de fortes oppositions à l’époque. Jean Lesage a même dit que les « autobus jaunes » lui avaient fait perdre les élections de 1966, car ils symbolisaient aux yeux du peuple l’esprit de la réforme de l’éducation. Paul Gérin-Lajoie était moins populaire en son temps qu’aujourd’hui. Il quitta d’ailleurs rapidement la vie politique. Mais la réforme de l’éducation s’est poursuivie sous le gouvernement unioniste (1966-1970). L’histoire est écrite par les vainqueurs. Or l’histoire de la Révolution tranquille a été, jusqu’à présent, écrite exclusivement par des partisans de la Révolution tranquille. Le discours des vaincus, de la vieille droite catholique, est totalement tombé dans l’oubli, victime d’une impitoyable censure. Mais la piètre qualité actuelle de notre système d’éducation ne nous invite-t-elle pas à porter un regard plus critique sur l’héritage de Paul Gérin-Lajoie ?
Le poisson pourrit par la tête
Paul Gérin-Lajoie est issu d’une illustre famille canadienne-française. « Le poisson pourrit par la tête », dit la Sainte Écriture. Il a étudié chez les jésuites, au Collège Jean-de-Brébeuf, et à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Ses brillants résultats académiques lui ont permis d’obtenir la prestigieuse bourse Rhodes pour aller faire un doctorat à l’Université d’Oxford. Il voulait rédiger une thèse sur la question du droit d’auteur. Mais on lui a fait comprendre qu’à Oxford, on entendait former des hommes de culture, et non pas des techniciens. Il décida alors d’étudier la procédure d’amendement de la constitution canadienne. De retour au pays, il se fit connaître en tant qu’avocat de la Fédération des collèges classiques du Québec. Ce tremplin politique lui permit de se faire élire député libéral d’Outremont, en 1957. L’année suivante, il fut défait par Jean Lesage dans la course à la direction du PLQ. Après la victoire libérale de 1960, il obtint le ministère de la Jeunesse, qu’il transformera en ministère de l’Éducation, le 19 mars 1964.
Lire la suitePaul Gérin-Lajoie, l’un des principaux auteurs d’un système scolaire dont nous ne pouvons être fiers
Paul Gérin-Lajoie, ex-ministre de la Jeunesse, de l’Éducation et ex-vice-premier ministre du Québec.
Par Augustin Hamilton (Campagne Québec-Vie) — Source : Pour une école libre au Québec/Source de la photo : Wikimedia Commons
Décédé tout récemment le 25 juin, Paul Gérin-Lajoie, ex-ministre de la Jeunesse, de l’Éducation et ex-vice-premier ministre du Québec, s’est fait encenser par divers médias de notre province, en grande partie pour la réforme Parent qu’il a menée dans l’éducation.
Il est de bon aloi de ne pas critiquer une personne morte, paix aux morts! Ils ne peuvent plus se défendre. Cependant étant donné le grand éloge rendu à Paul Gérin-Lajoie, et spécialement pour sa réforme... déplorable, nous ne pouvons laisser les médias louer, à travers le personnage, un changement dont nous avons encore à souffrir aujourd’hui.
D’après l’historien Claude Dupuis, il n’est pas sûr que le Québec avait un retard éducatif par rapport au Canada anglais (ce qui est le cas maintenant), prétendu retard qui fut l’un des prétextes de la transformation. Avec la réforme nous perdîmes nos collèges classiques, qui faisaient pourtant l’admiration des Américains, au profit des Cégeps (et à notre détriment). L’éducation classique, axée sur la formation de l’homme, fut remplacée par une formation dite « moderne » très axée sur la formation de techniciens. La déconfessionnalisation des écoles (proposée par le rapport Parent) survint peu après.
Lire la suiteGaston Miron ou la triste histoire d'un homme
Vient de paraître, aux éditions Boréal, une monumentale biographie du poète Gaston Miron, par Pierre Nepveu, professeur émérite de littérature française de l’Université de Montréal.
La description du quatrième de couverture explique pourquoi Miron est une figure emblématique de la culture québécoise contemporaine :
« C’est tout simplement que Gaston Miron incarne mieux que quiconque le Québec moderne. Miron est notre "contemporain capital". Écrire la biographie de Gaston Miron, c’est faire davantage que retracer la vie d’un homme, c’est raconter le Québec de la Grande Noirceur et des communautés religieuses, la Révolution tranquille, la renaissance du nationalisme et les mouvements de gauche, la crise d’Octobre, les deux référendums, c’est raconter l’histoire de l’édition au Québec et la naissance d’une institution littéraire digne de celles dont sont dotées les autres nations. »
Si ce que dit ce quatrième de couverture est exact, c’est le destin tragique d’un peuple qu’illustre cette biographie.
Gaston Miron naît en 1926 dans un petit village des pays d’en haut, dans une famille canadienne-française catholique. Dans sa prime jeunesse, Miron est un chrétien fervent, songeant à la vie religieuse : il porte déjà le nom de frère Adrien. Mais l’appel à la vie d’artiste semble être sa véritable vocation. Après un temps de discernement, il quitte sa communauté, où il n’avait pas fait de vœux perpétuels.
Le jeune Miron a tout un idéal
« Je veux donc, Seigneur, écrire. Je travaille sur le style, peine, essaie, corrige, analyse, tout en ayant cette spontanéité naïve. Par là, je veux vous faire honneur. Mon rêve, le voici. C’est l’édification de chef-d’œuvres (sic). Oui, prouver à tous que la religion et le religieux sont capables (sic) et ne nuisent nullement à la littérature » (p.81).
C’est ce même Miron, une âme du peuple canadien-français qui, après avoir délaissé la pratique religieuse, écrivit à la fin de sa vie :
« Il y a longtemps que je suis mort derrière moi
Je chemine avec l’ombre de moi devant moi
Il y a longtemps que je suis mort devant moi
Ou encore je chemine avec l’ombre de moi devant moi
Alors où suis-je? Où vais-je? (p.779)
(…)
Miron a tout perdu, le sens de sa vie même : "Où suis-je?". Le poète exprime ce mal-être à l’approche de la disparition, sa mort personnelle, mais aussi, celle de tout un peuple. Miron cherche son âme. Le Québec la retrouvera-t-il?
La naïveté volontaire
Comment ce désastre fut-il possible? Comment l’un des peuples chrétiens, un modèle parmi les peuples, est-il devenu tellement fragile qu’il ne pourra même plus, bientôt, se poser la question de sa souveraineté puisqu’il ne sera plus, d’un point de vue démographique, capable de la faire?
L’analyse est trop complexe pour se résumer en quelques pages, mais je ne retiendrai qu’un élément de la vie de Miron pour expliquer en partie ce phénomène de déchristianisation.
Cet élément, c’est une formation intellectuelle déficiente. Comment a-t-on pu penser un instant qu’une foi seule, non appuyée sur un travail de la raison rigoureux, allait survivre aux assauts de l'argumentation étayée du marxisme, des philosophes Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, de romancier tels qu’Albert Camus? Qu’à-t-on présenter pour faire front à ce puissant courant existentialiste?
Je reprends le texte de deux aumôniers, les abbés Marc Lecavalier et le très connu Ambroise Lafortune, qui reçut l’assentiment de Miron :
"-Universel dans la formation, mon épanouissement : tous mes talents doivent fructifier et rendre.
-Universel dans le don de soi (…)
-Universel dans le temps : ‘Je suis avec ceux qui furent et ceux qui seront’ Solidaires et responsables.
-Universels dans l’espace : ma famille, ma paroisse, ma ville, ma province, mon pays, mon continent, la terre, les galaxies, le cosmos.
-Les murailles chinoises physiques, intellectuelles ou spirituelles doivent être démantelées.
-Je dois ouvrir mon cœur aux dimensions du monde."(p.169)
Ces objectifs magnifiques sont la preuve d’une belle ouverture d’esprit et d’un désir d’aimer universellement, mais avec une naïveté risible aux conséquences épouvantables. Une ouverture sans esprit de discernement, sans esprit critique a pour conséquence la dispersion. N’est pas le sentiment qu’éprouve notre poète en fin de vie?
Comme lui, toute une génération de Québécois plongera tête baissée dans le Marxisme-Léninisme et s’abreuvera aux écuries Sartrienne, Camusienne et de Beauvoir. Cette génération est toujours incapable d’admettre ni même de concevoir la ruine flagrante dans laquelle le Québec se trouve actuellement. De là à lui faire admettre sa responsabilité… il ne faut pas rêver.
"La liberté aussi vient de Dieu » lançait l’un des pères de la révolution tranquille. Slogan vide comme tant d’autre qui allait suivre et on les suivit, en oubliant que le texte évangélique comportait cette nuance : "La Vérité vous rendra libre". Et non pas n’importe quelle théorie erronée à la mode. Mais il fallait "aller de l’avant"! Peu importe qu’on ne sache pas vers où, l’important étant d’être dans le courant. Être dans le vent, c’est l’idéal des feuilles mortes dit le proverbe. Nous avons choisi d’écouter les faux prophètes.
Ces chrétiens "libérés" s’appuyèrent d’abord sur la parabole des talents pour faire passer leur "mission" avant tout. Que ce soit leur art ou leur combat politique. Combien d’enfants des Pères du Refus Global ont été abandonnés? Presque tous. L’art déifié avant tout. Personne n’a su leur dire que le premier et le plus grand des talents est la charité, la charité envers le prochain, le plus proche d’abord.
Toute une génération qui a voulu s’épanouir, à l’époque on parlait plutôt de rejeter les carcans et l’étouffement, en laissant les enfants et les proches sur le carreau.
Espérons que cette génération sera capable du moins d’imiter aussi Miron dans l’angoisse de ces derniers jours :
"Fais comme moi confie-t-il un soir à Marie-Andrée qui partage son angoisse. Dis le Notre Père, c’est la plus belle prière, ça apaise." (p.780)
Et pour nous, s’il y a une chose que nous devons retenir de la vie de Gaston Miron
C’est de refuser le poncif de la spontanéité absolue, de cette confiance naïve en l’esprit du monde, pour redevenir des hommes de conscience comme le disait un Jean-Paul II. Foi et Raison vont de pairs. Nous avons à nourrir notre foi et former notre intelligence pour être en mesure d’aimer tout le bien, le beau et le vrai que produit notre monde d’aujourd'hui. Mais pour cela, il faut d’abord être capable de distinguer le bien du mal, la beauté de sa caricature, la vérité du mensonge. Cette étape fut oubliée par le passé. À nous de ne pas refaire cette erreur.
Les citations sont tirées de la biographie suivante :NEPVEU, Pierre. Gaston Miron, La vie d’un homme, éd. Boréal, Montréal, 2011, 900 pages. Mise-à-jour (15 septembre, 2010):
Les bâtisseurs de la civilisation de l'amour Hier dans mon article sur Gaston Miron, j’ai parlé de la déficience de la formation intellectuelle des chrétiens dans les années précédant la Révolution tranquille. Ce n’est pas tout à fait exact. La formation de qualité était présente. On peut se rappeler les grandes figures de l’enseignement que furent Mgr Dionne ou Charles de Koninck à l’Université Laval, université prestigieuse reconnue à travers le monde à cette époque. Ou bien à Montréal, la figure d’un Édouard Montpetit et d’un Esdras Minvile par exemple. Mais , la situation s'est détérioré et les intellectuels de qualité furent parfois chassés par des imbéciles heureux, adeptes et promoteur s de la naïveté volontaire qui fit tant de mal à l’église du Québec pendant les 50 dernières années. Je ne prendrai qu’un exemple d’une des grandes personnalités françaises du xxe siècle : Marcel Clément. Jusqu'à la fin des années 1990, Marcel Clément fut titulaire de la chaire de Philosophie politique à la Faculté Libre de Philosophie Comparée de Paris, dont il est le cofondateur avec son frère André et qui est certainement l’une des cinq meilleures écoles de philosophie au monde. Il est l’auteur de plus de trente ouvrages, licencié en droit, diplômé en science économique, docteur en philosophie. Officier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Il a été fait par le pape Jean-Paul II Grand Officier de l’Ordre de Saint Grégoire le Grand. Son enseignement de premier ordre lui valut parfois l’expulsion de certaines de nos institutions québécoises où il enseignait. Nous avons préféré les faux prophètes. J’aimerais ici lui rendre hommage et le remercier à titre posthume, d’avoir défendu de toutes ses forces, au Québec et partout dans le monde, la sagesse de la doctrine sociale de l’église. Ce serait de la plus haute ingratitude d’oublier cet homme exceptionnel qui contribua au renouveau de la pensée catholique française et de son rayonnement à travers le monde. Nombre d’intellectuels français éminents lui doivent leur formation, je pense ici au Cardinal Barbarin, l’un des plus jeunes cardinaux du monde, à Pascal Ide, Fabrice Hadjad, Yves Semen, Thierry Boutet, pour n’en nommer que quelques-uns. Je rappellerais également l’amitié de la mystique Marthe Robin qui même révisait parfois ses livres avant leur parution. Grâce à l’appui d’un couple québécois, Léo-Paul et Margot Ouellette, un petit nombre de nos compatriotes purent suivre les réflexions de Marcel Clément, ancien journaliste accrédité au concile Vatican II dont il écrivit le compte rendu journalier. Je tiens à remercier également M. Ouellette, bachelier en philosophie et théologie, professeur émérite des Hautes Études Commerciales, d’avoir permis pendant de nombreuses années au journal l’Homme Nouveau, de paraître dans son édition québécoise. Les articles prudents et sages de M.Ouellette ont guidé toute une génération de Québécois dans les années de tourmente qu’a connues notre église. Léo-Paul et Margot Ouellette furent des grands promoteurs de la culture de la vie. Depuis Henri Bourassa, peu de journalistes ont écrit avec autant de perspicacité et de profondeur sur notre société, notre patrie. Si seulement nous avions écouté ces prophètes, ces bâtisseurs, nous aurions moins de travail aujourd’hui pour construire une véritable civilisation de l’amour!