Sur la possibilité de vivre dans les ruines du libéralisme
Par Georges Buscemi (Campagne Québec-Vie) — Photo : Thermos/Wikimedia Commons
En lisant l’article « Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme » de Nicolas Langelier, publié dans le magazine Nouveau Projet de l’automne 2024, il m’est immédiatement venu à l’esprit le passage apocalyptique de l’Évangile de Saint Luc, où les apôtres, admirant la splendeur du Temple de Jérusalem, ont entendu Jésus leur annoncer d’une manière qui pouvait sembler laconique et distante à leurs oreilles : « Les jours viendront où, de ce que vous voyez, il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée. » (Luc 21, 6) Ce faisant, le Christ annonce la fin des temps, en décrivant une série de bouleversements cataclysmiques, tant politiques qu’écologiques, jusqu’à ce que la dernière scène de l’Histoire se déroule : « Alors on verra le Fils de l’homme venant sur une nuée avec puissance et grande gloire. » (Luc 21, 27)
Bien sûr, Langelier n’est pas le Christ, mais il est difficile de ne pas entendre, dans ce sombre article aux relents de feu et de soufre accompagné de l’illustration « Le grand jour de Sa colère » de John Martin, un écho lointain et distordu des paroles de Jésus dans le contexte d’un Québec postchrétien. Né en 1973, Langelier appartient à la génération X, qui a grandi dans l’ombre de celle, plus influente et plus affirmée, des Boomers.
Après l’échec du rêve indépendantiste des Boomers, Langelier et sa génération ont cherché un nouveau cadre pour donner un sens à leur existence. En 2011, il cofonde l’Atelier 10, sorte de think tank de gauche, qui, l’année suivante, donne naissance à Nouveau Projet, un semestriel cherchant à tracer les contours d’un « nouveau projet » pour le Québec d’après la Révolution tranquille. Le nationalisme ayant échoué à fédérer durablement, une nouvelle cause devait émerger.
Ce nouveau projet, semble-t-il, consiste à vivre en harmonie avec l’environnement, faisant de l’écologie pour la génération X et ses héritiers ce que le nationalisme représentait pour les Boomers et leurs prédécesseurs : un eschaton, c’est-à-dire à la fois une fin des temps et un but ultime, destiné à remplacer la transcendance chrétienne d’autrefois. Le recul de la religion chrétienne a laissé un vide, et l’écologie, avec sa promesse d’un monde meilleur, offre un nouveau but à atteindre, capable de rassembler un monde fragmenté et individualiste.
Lire la suiteCritique de Sapiens de Yuval Noah Harari à la lumière de La Dernière Superstition d’Edward Feser
Campagne Québec-Vie — Image : montage
Introduction
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari est devenu un ouvrage de référence dans la culture contemporaine, présentant une interprétation matérialiste de l’histoire humaine. Harari dépeint l’évolution de l’homme comme un processus aveugle, où la biologie et l’histoire sont réduites à des mécanismes de survie et de reproduction, rejetant toute transcendance ou téléologie. À la lumière de La Dernière Superstition d’Edward Feser, un ouvrage défendant la métaphysique aristotélicienne-thomiste et critiquant vigoureusement le matérialisme moderne, Sapiens apparaît comme une œuvre réductrice, qui échoue à reconnaître la profondeur de l’expérience humaine et la vérité objective de la métaphysique classique. Cette critique, fidèle à la perspective que nous diffusons à Campagne Québec-Vie, vise à démontrer comment Harari nie des réalités essentielles à l’homme, tandis que Feser rétablit une vision intégrale de la personne humaine, enracinée dans la vérité.
1. Matérialisme et réductionnisme
L’un des fondements de Sapiens est la manière dont Harari réduit l’expérience humaine et ses accomplissements à des phénomènes strictement matériels et évolutionnistes. Selon lui, l’intelligence humaine, les croyances religieuses, les institutions sociales, et même la morale, sont des sous-produits de l’évolution, développés pour maximiser les chances de survie. Ainsi, Harari affirme que les récits fondateurs de l’humanité — les religions, les mythes, les concepts de justice — ne sont que des « fictions intersubjectives » permettant aux hommes de coopérer à grande échelle.
Feser, dans La Dernière Superstition, critique violemment ce réductionnisme matérialiste, qu’il considère comme une « superstition » moderne. Pour Feser, le matérialisme nie une dimension essentielle de la réalité : la téléologie ou la cause finale, c’est-à-dire la notion que chaque être a une finalité intrinsèque en vertu de sa nature. La métaphysique aristotélicienne, reprise par saint Thomas d’Aquin, reconnaît que les êtres naturels ne sont pas de simples amas de matière en mouvement, mais qu’ils ont des essences qui les orientent vers certaines fins. Par exemple, l’intellect humain n’est pas un simple outil de survie ; il est orienté vers la vérité et la connaissance de Dieu. Le rejet de cette téléologie par Harari conduit à une vision tronquée de l’homme, réduisant la quête de sens à des illusions utilitaires.
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