L’enfant à naître a-t-il un « droit » au ventre de sa mère ?
Blogue de Philippe Letellier-Martel — Photo : valeria Aksakova/Freepik
Le débat sur l’avortement semble sans cesse réitérer une opposition fondamentale entre pro-vie et pro-choix : celle du droit à la vie de l’enfant à naître ainsi que du droit de la femme à disposer de son corps. Dans son célèbre article, Judith Jarvis Thomson utilise le droit à l’autonomie corporelle comme élément central de ce qui deviendra un des arguments philosophiques pro-choix les plus utilisés : l’analogie du violoniste. Dans cette analogie, vous vous retrouvez un matin connecté à un violoniste de renommée mondiale, dans un hôpital. Pour cause ? vous vous êtes fait kidnapper par la Société des amateurs de musique (« Society of Music Lovers ») qui cherchait à tout prix à sauver le violoniste, qui était atteint d’une maladie mortelle et qui devait, pour survivre, être connecté avec le corps de quelqu’un d’autre. Étant le seul corps compatible avec celui du violoniste, vous avez été capturé, et voilà que vous devrez rester connecté avec le violoniste pour les 9 prochains mois, sinon, le violoniste va mourir de sa maladie. On vous annonce que le fait de vous kidnapper était bel et bien illégal, mais, malheureusement, maintenant que vous êtes connecté, vous ne pouvez plus tirer la plug, car ça reviendrait à tuer le violoniste, qui est une personne et qui a un droit à la vie.
Par cette mise en situation, Thomson entend prouver que le droit à l’avortement est moralement justifié, puisqu’il serait moralement justifié pour le lecteur de se débrancher du violoniste. En effet, l’obligation de rester connecté au violoniste (ce qui est, selon Thomson, manifestement injuste) semble moralement équivalente à forcer une femme à garder un enfant dans son ventre à cause du droit à la vie de ce dernier.
Mais cette analogie tient-elle vraiment la route ?
Les pro-vie ont trouvé plusieurs failles dans cet argument. D’emblée, on remarque que celui-ci ne s’applique que dans les cas de viols, puisque le lecteur se fait capturer dans la mise en situation. Et même pour ce qui est des cas de viols, il y a une différence entre retirer un soin médical (ce qui se produit lorsque le lecteur se débranche du violoniste) et le fait de directement, intentionnellement tuer un humain en santé (ce qui se produit lors d’un avortement). Enfin, on remarque également la différence de relation entre le connecté et le violoniste, deux étrangers, et celle entre une mère et son enfant, celle-ci ayant des devoirs particuliers envers celui-là. Dans cet article, je souhaite étoffer, préciser cette dernière différence. Montrer que si l’on envisage le droit à la vie selon la théorie du droit naturel, il y a une différence entre le droit naturel que le très jeune enfant a de vivre dans son milieu naturel (le sein de sa mère), et le droit inexistant du violoniste au corps du lecteur. Dans le raisonnement qui va suivre, je vais tenir pour acquis que l’on considère le fœtus comme une personne humaine, doté en principe des mêmes droits que n’importe qui d’autre, car c’est précisément la prémisse de l’article de Thomson.
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