Sur le site internet du magazine l'Actualité du 19 novembre 2013 :
(Quelques philosophes et dirigeants politiques qui ont prôné un état sans droit de cité pour les croyants)
(Photo : dalbera sur flickr.com, licence Creative Commons)
1) Le projet de loi 52 concerne l’euthanasie. Bien que le texte évite toute référence au terme (lui substituant des euphémismes comme «aide médicale à mourir» ou «soins de fin de vie»), c’est bien ce dont il s’agit, dans sa nouveauté. Le choix des mots ne change rien au débat de fond, qui demeure légitime et qui interpelle les mêmes principes et oppositions.
«L’aide médicale à mourir» est simplement de l’euthanasie qui ne s’assume pas entièrement. On comprend les auteurs de la loi d’avoir cherché à éviter un terme chargé de nombreux a priori — ne serait-ce que pour susciter un débat moins prisonnier des préconceptions des uns et des autres — mais les opposants ont raison de souligner qu’il s’agit d’une manoeuvre de maquillage. (...)
L'auteur de l'article, Jérôme Lussier, continue en voulant présenter l'argument de la pente glissante, comme un sophisme. Il n'y a pourtant aucun faux raisonnement à constater que dans tous les pays qui ont légalisé l'euthanasie, elle est pratiquée dans un complet débordement des balises supposées restreindre son application. Il est déjà légitime de parler d'euthanasie sur demande...
L'auteur termine son texte en énonçant l'idée que toute opposition selon un principe spirituel (pas nécessairement religieux) ou existentiel ne devrait pas avoir le droit de cité. Il est légitime de se demander quelle est la conception de la démocratie de l'auteur, conception ou seuls les individus de croyance matérialiste auraient le droit à la liberté d'expression et où l'État n'aurait le droit que d'imposer un laïcisme contraire à la laïcité comme neutralité religieuse de l'État et non pas interdiction de la spiritualité?
En effet, dans la mesure où l’opposition de principe à l’euthanasie s’appuie essentiellement sur des considérations spirituelles ou existentielles (mais pas nécessairement religieuses), il y a lieu de se demander si ces perspectives devraient influencer les politiques publiques d’un État laïc. Autrement dit, le débat actuel sur l’euthanasie pose une question fondamentale : celle de savoir si l’on peut même recevoir ou considérer des arguments spirituels ou existentiels dans le cadre d’une politique publique neutre et laïque.
Comme il a souvent été répété sur ce blogue, il est essentiel de distinguer les employés de l’État — qui gardent leur liberté de conscience et de religion — des politiques publiques de ce dernier qui, elles, se doivent d’être neutres et laïques.
Faut-il conclure qu’un État qui interdirait le principe de l’aide médicale à mourir se trouverait à remettre en question sa laïcité ?
À lire, les nombreux commentaires qui répliquent à cet article, dont cet extrait de celui d'Éric Folot :
2) Vous dites au #4 que la pente glissante n’est jamais un argument valable. En droit, cette affirmation est hautement critiquable. Selon la Commission de réforme du droit au Canada il s’agit d’un argument réel et sérieux. Selon le Barreau du Québec il s’agit également d’un « argument très sérieux » (voir Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes, septembre 2010, p.115-). En éthique, Hans Jonas invoquerait le principe responsabilité qui demande d’accorder « un plus grand poids au pronostic de malheur qu’au pronostic de salut ». Max Weber affirmerait également que selon l’éthique de responsabilité « nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes ». Si une conséquence non désirée de notre action est prévisible quoique incertaine, nous en sommes responsables. L’élargissement du droit de l’euthanasie aux personnes inaptes et mineures est probable comme le mentionnait la Commission des droits de la personne.
3) Vous dites en conclusion que « l’euthanasie s’appuie essentiellement sur des considérations spirituelles ». Or cette affirmation est hautement critiquable. Selon le libéral Ronald Dworkin, « the conviction that human life is sacred probably provides the most powerful emotional basis for resisting euthanasia ». Or l’idée du caractère sacré de la vie n’est pas qu’un concept religieux. Dworkin lui-même défendait une conception laique du caractère sacré de la vie. De plus, le caractère sacré de la vie est également un principe juridique fondamental de notre droit. Le juge Sopinka (pour la majorité) de la Cour suprême du Canada affirmait dans l’arrêt Sue Rodriguez (1993) : « L’examen qui précède démontre que le Canada et d’autres démocraties occidentales reconnaissent et appliquent le principe du caractère sacré de la vie ».
Eric Folot
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