Par Jeanne Smits (Le blogue de Jeanne Smits) — Photo : Rémi Jouan/© Rémi Jouan, CC-BY-SA, GNU Free Documentation License, Wikimedia Commons
Gabriel Attal a choqué en déclarant dans un entretien au Parisien, fin janvier : « Dans l’après-Covid […], on veut poursuivre la redéfinition de notre contrat social, avec des devoirs qui passent avant les droits, du respect de l’autorité aux prestations sociales. » Il ne faisait que reprendre la déclaration d’Emmanuel Macron, le 31 décembre dernier : « Les devoirs valent avant les droits. » Florian Philippot faisait aussitôt remarquer que Le Monde résumait ainsi en janvier 2020 le crédit social chinois : « faire passer des devoirs avant les droits ». A l’heure où le passe vaccinal menace de se transformer en outil de contrôle digital pour vérifier la conformité des comportements des citoyens pour leur accorder ou leur retirer des droits et des libertés, le parallèle est saisissant. Macron et les siens ne se cachent plus : ils assument de vouloir changer à la racine le mode de fonctionnement de notre société. Et ils nous en ont donné un avant-goût depuis deux ans. Amer.
Les droits de l’homme précèdent-ils pour autant ses devoirs ? Dans leur acception révolutionnaire, issue de la Déclaration de 1789 et qui est aussi celle du pouvoir, oui. Mais n’oubliez pas que la Révolution a aussi engendré ce principe : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. » Autrement dit, il faut accepter le « contrat social » tel qu’il est défini et imposé par le pouvoir pour pouvoir bénéficier des droits. Aux ennemis de la liberté, on réservait la guillotine. (Ou l’extermination, pour les Vendéens…) Les droits de l’homme ont des ratés. Jean Madiran, en particulier, a montré ce qu’il en était des « droits de l’homme sans Dieu ». Benoît XVI résumait la chose en une formule frappante : « Sans Dieu, les droits de l’homme s’écroulent. »
Mais au-delà, l’école contre-révolutionnaire a toujours affirmé que l’homme a des devoirs avant que d’avoir des droits. Il naît débiteur : à l’égard de ses parents à qui il doit la vie, à l’égard de sa patrie, à l’égard de son Créateur.
Pourquoi donc se formaliser du propos du ministricule Attal ?
Parce que les devoirs prêchés par les puissants du jour, qu’ils vivent à Pékin, Pyongyang, Ottawa ou Paris, sont les devoirs de l’homme sans Dieu.
Ce sont des devoirs face à une tyrannie potentiellement sans limites, parce que servis par des moyens de surveillance, de contrôle et de sujétion à la fois inédits et colossaux, capables de s’immiscer jusque dans les moindres détails de la vie quotidienne comme dans la vie sociale au sens large. Il s’agit bien d’une tyrannie totalitaire, capable de tout soumettre au pouvoir de l’Etat au moyen d’un « crédit social » (la récompense du comportement présenté comme conforme au bien de la société) ou, plus exactement, un « crédit politique », puisqu’il s’agit de récompenser celui qui se conforme aux injonctions du pouvoir, bonnes ou mauvaises, et qui de plus y adhère. Rien n’est plus facile aujourd’hui que de savoir si c’est le cas. Il suffit de profiler, en deux temps trois mouvements grâce aux algorithmes ad hoc, vos « j’aime » sur les réseaux sociaux !
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Quand un esprit traditionnel affirme : « les devoirs précèdent les droits », ce n’est pas au sens où le dirait le nouveau grand timonnier autoproclamé, Xi Jinping, ou un séide de la Macronie. La référence que fait Gabriel Attal au « contrat social » est d’ailleurs parlante : celui-ci suppose une sorte de charte disjointe de la loi naturelle, où la volonté du grand nombre détermine l’organisation sociale, les droits, les devoirs, sans référence à une transcendance, à un bien préexistant, une vérité définitive, à l’objectivité d’une « morale sociale ».
Un contrat, par définition, résulte de la volonté des parties et se renégocie, le cas échéant — et souvent selon la loi du plus fort, car l’idée de l’adhésion de tous est un leurre sans référence à un bien qui dépasse chacun. Et c’est au nom du positivisme qui préside au concept que l’on justifie différentes normes au cours du temps : qu’on pense à l’institution du mariage aujourd’hui soumise aux variations que l’on sait, jusqu’à l’avoir fait quasiment disparaître corps et bien sur le plan civil dans de nombreux pays, à la fois dénaturé dans son être et neutralisé dans ses attributs.
Le « contrat » macronien, prêché par Attal, comme le « crédit social » qui régit la vie des Chinois, peut ainsi mener n’importe où. Les « devoirs » du jour sont multiples et ouvrent un vaste champ de créativité : se-vacciner-pour-protéger-les-plus-faibles sous peine d’être exclu de la société ; protéger-la-planète en émettant moins de CO2 ou en ayant moins d’enfants ; suivre les injonctions publiques en matière de sucre, d’alcool et de matière grasse pour protéger-l’hôpital-de-l’afflux-de-patients ; s’abstenir de commentaires négatifs susceptibles de réduire l’aura des gouvernants et la croyance en leurs dures, pour protéger-les-plus-influençables.
Le prix à payer est déjà le même en France qu’en Chine dans certains domaines, même si la Chine, pays modèle pour beaucoup, va bien plus loin aujourd’hui dans le contrôle de sa population. En France, nous en sommes là : interroger la validité des mesures COVID et en tirer les conséquences pour soi conduit à être banni de nombre d’activités, des transports rapides, des visites aux proches hospitalisés, etc. Et même du droit de travailler ! Demain, l’observance de ces diktats, mais aussi d’autres à venir, sera condition de l’accès à certaines libertés, à certains biens, à certains crédits, à certaines prestations… Vous verrez.
Ce n’est pas un hasard si les pays de civilisation chrétienne sont ceux qui ont codifié les droits, de la Magna Carta à l’habeas corpus, de cette France de jadis « hérissée de libertés » aux diverses déclarations de droits.
Pourquoi ? Mais justement parce que ceux-ci découlent de devoirs. Le code de conduite qui fonde notre civilisation est précisément le Décalogue, un catalogue de devoirs et d’interdits, envers Dieu, envers notre prochain, à l’égard de notre famille et de notre patrie, à l’égard de chacun.
Je dois adorer Dieu, je dois chercher la vérité ; de cela découle mon droit absolu, antérieur à l’Etat et à tout « contrat social », de pratiquer la vraie religion, de croire — et de ne pas être contraint de croire.
Je dois honorer mon père et ma mère ; de même, père ou mère, j’ai d’abord des devoirs envers l’enfant que j’engendre ; sujet ou citoyen d’un pays, celui-ci peut exiger de moi le sacrifice de ma vie en temps de guerre. Mais aussi : je suis libre, et c’est un droit qui précède celui de l’Etat ou de ses gouvernants sur moi, de me marier, ou pas, de donner la vie, ou pas, d’éduquer mes enfants sans immixtion de l’Etat — même si les pouvoirs publics ont le devoir et donc le droit de me sanctionner si je porte gravement atteinte au bien de mes enfants.
De l’interdiction de tuer l’innocent (parce que chaque homme est créé à l’image de Dieu, personne unique et irremplaçable), qui est devoir de respecter la vie d’autrui, découle le droit individuel de voir ma vie respectée. De cette dignité de l’homme, « animal raisonnable » qui doit sa vie à Dieu, doué d’une âme immortelle, revêtu de la responsabilité personnelle de bien agir, découle le devoir de l’Etat de respecter ce qu’on appelle aujourd’hui les « libertés fondamentales », si bafouées aujourd’hui à la fois dans leur existence pratique et dans leur définition, puisque celle-ci n’est plus déterminée par le bien, le vrai, le bon.
Les Etats modernes qui rejettent toute transcendance, qu’ils soient athées de manière militante ou laïques au sens séculariste, et cèdent à la tentation de la tyrannie du contrôle social, créent et imposent des devoirs en roue libre. Leur droit usurpé les conduit à décider ce qui est « bien », à infliger à coups de matraque le bonheur par eux défini, à façonner l’homme à leur image.
Face à cela, nous avons d’abord un devoir de résistance !