Alberto Fernández, président d'Argentine.
Par Jeanne Smits (Le blog de Jeanne Smits) — Photo (côtés flous rajoutés) : Nicolás Aboaf/Wikimedia Commons
Pour qui douterait encore des effets concrets du message véhiculé par Amoris lætitia, la récente visite du nouveau président argentin Alberto Fernández est venue apporter une clarification dont il faudra se souvenir. Vendredi 31 janvier, il était reçu par le pape François, son compatriote : un entretien qui fut long et cordial. L’exhortation apostolique qui ouvre la porte à la communion pour les divorcés remariés a été remise au couple présidentiel par le pape François ; ça tombait bien, Fernández est « fiancé », comme on dit, depuis 2014 avec l’actrice argentine Fabiola Yañez, qui vit avec lui au palais présidentiel de Buenos Aires et joue le rôle de Première dame.
Le président argentin s’était marié en 1993 avec Marcela Luchetti, de laquelle il a divorcé en 2005, « laissant » un fils. De 2005 à 2014, il vivait avec Vilma Ibarra, par ailleurs mère de trois enfants. Les thuriféraires de François nous expliqueront peut-être un jour que Fernández a bénéficié d’une déclaration de nullité de son mariage et qu’il s’est en fait marié secrètement avec son actuelle concubine. Dans cette éventualité hautement improbable, une seule réponse : on s’en fiche, le scandale a été public. Si les mariages catholiques sont publics, ce n’est pas pour des prunes !
L’entretien du président et de sa « copine » avec le pape François a été précédé d’une messe célébrée par un autre compatriote, Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, chancelier de l’Académie pontificale des sciences et de l’Académie pontificale des sciences sociales à laquelle le président argentin, partisan actif de la légalisation de l’avortement, a communié, tout comme sa compagne. Vidéo et preuves sur Infovaticana et en français sur Gloria.tv.
Comble de l’ironie, le pape François prêchait le matin même à Sainte-Marthe à propos de ces catholiques qui vont à la messe le dimanche et qui se disent chrétiens mais qui ont « perdu la conscience du péché ». Il ajoutait que ces chrétiens auraient besoin de quelqu’un qui leur dise la vérité, souhaitant que le Seigneur leur envoie un « prophète » qui leur « donne une petite claque » quand ils se laissent glisser « dans cette atmosphère où tout semble permis ». Evidemment, il évoquait ceux qui paient mal leurs domestiques ou les ouvriers des champs, selon des schémas bien usés…
Et comme si cela ne suffisait pas, la première lecture du jour (dans le Nouvel Ordo) de la messe à laquelle assistaient Alberto et Fabiola correspondait au récit du meurtre d’Urie à l’instigation du roi David qui convoitait sa femme, Bethsabée… Cela aussi, on le voit sur la vidéo.
On se demande combien de temps ils ont pu passer à « discerner » sur tout cela avant de convier le couple présidentiel argentin à une messe spécialement célébrée pour eux…
A tout cela s’ajoute un imbroglio diplomatique : peu après sa rencontre avec le pape François, Alberto Fernández a envoyé à son hôte un courriel courroucé pour demander pourquoi le communiqué du Vatican sur la visite avait annoncé que le sujet de l’avortement avait été évoqué. Il venait lui-même d’affirmer expressément que tel n’avait pas été le cas, au cours de la conférence de presse donnée à l’ambassade d’Argentine peu après la rencontre.
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« Je fais corriger tout de suite », a répondu quelques minutes plus tard le pape, selon la délégation argentine. Fernández, de son côté, précisait que le thème de l’avortement avait seulement été abordé lors de sa réunion avec le Secrétaire d’Etat, le cardinal Parolin, qui lui « manifesta sa préoccupation par rapport à ce thème, (lui) rappelant que la position de l’Eglise est toujours la défense de la vie dès la conception », selon les dires du président argentin à La Nacion.
Le nouveau communiqué du Vatican précisa donc que « tous les thèmes cités dans le communiqué de presse sur l’audience » avec Fernández « n’avaient pas été abordés lors de toutes les conversations ».
On a compris. Le pape François n’a pas abordé le sujet. Cela semble avoir été convenu dès avant l’entretien (voir ci-dessous).
De son côté Fernández a évoqué saint Thomas d’Aquin pour assurer à Parolin que le Docteur angélique n’était pas contre l’avortement « avant l’animation ». Et de suggérer que si l’Eglise catholique perd des fidèles en Argentine au profit des évangéliques c’est parce que ces derniers sont contre l’avortement mais admettent « les méthodes de prévention de la grossesse ».
Lors de sa rencontre avec la presse, à peine sorti de Sainte-Marthe et ayant communié le jour même, Alberto Fernández a confirmé qu’il ne reculera pas sur le projet de légalisation de l’avortement en Argentine ; le projet gouvernemental sera envoyé au Parlement dès le 1er mars.
Pour que ce dossier soit complet je vous propose ci-dessous ma traduction de l’éditorial publié sur Infocatolica.com par Mgr Hector Aguer, ancien archevêque de La Plata, viré comme un malpropre il y a peu pour laisser la place à un proche du pape François, rédacteur des passages dits « controversés » d’Amoris laetitia, Mgr Victor Manuel « Tucho » Fernández.
La version originale du texte de Mgr Aguer est ici. — J.S.
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Le président Alberto Fernández est un partisan bien connu de la légalisation de l’avortement. J’écris « légalisation » parce que — même si je ne suis pas juriste — je crois que la dépénalisation d’un tel comportement implique d’en faire un acte arbitraire autorisé par la loi et pouvant être librement exécuté. L’une des premières mesures du gouvernement actuel a été de relancer le projet qui avait été rejeté par le Sénat national il y a deux ans. Une modification surprenante a été introduite : comme le Dr Fernández avait une visite au Souverain Pontife au programme, il a été ajouté que l’État accompagnera la femme enceinte qui décide d’avoir son bébé. Main de fer d’un côté, gant de velours de l’autre.
Nos politiciens sont moralement relativistes, et ils doivent penser que le Pape l’est aussi. Le député Valdéz, ancien ambassadeur près le Saint-Siège, avait déjà déclaré que François « comprendrait ». A la veille de sa rencontre avec le pape, le président a annoncé que le sujet de l’avortement ne serait pas abordé dans la conversation ; le crime abominable — c’est ainsi que le Concile Vatican II a appelé l’avortement — n’est pas un problème majeur comparé à ceux de la pauvreté, de la faim et de la dette. Se pourrait-il qu’il en soit ainsi ? Nous n’avons aucun moyen de le savoir, mais ne pouvons-nous pas penser que le pape serait très attristé si son pays d’origine rejoignait ceux qui ont déjà inclus dans leur législation la permission de tuer impunément des enfants à naître ? Et que cela étant, il ait rappelé au Dr Fernández — qui s’est identifié comme catholique pour l’occasion — qu’il encourrait une très grave responsabilité devant Dieu en encourageant une telle mesure ? On dit que la question a été discutée à la Secrétairerie d’État. Cela aura-t-il quelque effet ? Parce que ce n’est pas la même chose. On est saisi de voir que le président se soit déclaré fils de l’Église, qu’il ait assisté à la messe avec sa compagne, qu’il ait reçu la Sainte Communion des mains d’un archevêque argentin. C’est incroyable, mais entre compatriotes de même rang tout est finalement possible ! Un scandale de plus, parmi tant d’autres...
Au même moment, le Dr Ginés González García, ministre de la Santé de la Nation, a mis en place un protocole qui permet aux adolescentes de 14 et 15 ans, enceintes à la suite d’un viol, d’avorter à l’insu de leurs parents. Le ministre actuel, au même poste dans une précédente administration, était alors un distributeur enthousiaste de préservatifs. J’ai osé le critiquer publiquement ; il m’a traité de fanatique, entre autres gentillesses, et il a décroché avec une phrase d’anthologie : Dieu pardonne toujours, mais le SIDA ne pardonne pas. Je l’ai corrigé publiquement : Dieu pardonne toujours si nous nous repentons et proposons de faire amende honorable, et non si nous persévérons obstinément dans notre erreur. J’appelle le péché erreur, considérant que dans le grec classique, et dans le Nouveau Testament, le péché est appelé hamartía, substantif du verbe qui signifie rater la cible, se tromper de chemin, s’égarer, s’écarter de la vérité, et donc, pécher volontairement.
Dans son deuxième portefeuille ministériel, le Dr González García n’a pas amélioré son objectif : il s’occupe de promouvoir l’avortement comme solution à un problème de santé publique, comme si la grossesse était une maladie. Il aurait suffisamment de travail à faire s’il s’appliquait à remédier au système de santé lamentable de ce pays ; il n’aurait plus le temps de programmer la liquidation illégitime et immorale des enfants à naître.
Un malentendu fréquent conduit à identifier l’opposition à l’avortement comme une position religieuse, confessionnelle. Elle l’est en effet, mais pas en premier lieu. La raison qui justifie l’opposition à l’avortement est avant tout scientifique : qu’est-ce qui pousse silencieusement dans le sein d’une femme enceinte ? Et qu’est-ce qui pousse de soi-même, et de l’intérieur, comme dirait Platon ? La conviction pro-avortement du président l’a conduit, dans une lettre de 2018, à soutenir que saint Thomas d’Aquin admettait l’élimination de l’embryon avant que celui-ci ne reçoive l’animation définitive de l’âme rationnelle. Comme il ignore manifestement l’œuvre du Docteur commun de l’Église, il ne pouvait pas se rendre compte de ce que même si celui-ci acceptait une animation progressive, et la succession d’âmes végétative, sensible et rationnelle, Thomas reconnaissait l’unité et la continuité de ce processus, raison pour laquelle il affirmait qu’il était immoral de l’interrompre dans l’une de ses étapes. Il l’a enseigné en acceptant les données de la biologie aristotélicienne et l’opinion des scientifiques de son temps, qui a été largement dépassée par les découvertes ultérieures. Il faut cependant noter que dans son étude de l’Incarnation du Fils de Dieu, il laisse de côté l’embryologie ; Jésus, vrai Dieu, est un homme vrai et complet dès le premier instant de sa conception dans le sein de la Vierge Marie.
J’insiste : le principal argument contre l’avortement est d’ordre rigoureusement scientifique. Les études de génétique développées au cours du XXe siècle, notamment celles de Jérôme Lejeune, montrent que l’embryon microscopique a un ADN différent de celui de ses parents ; dès le premier instant de sa conception, il est XX ou XY, une personne mâle ou femelle, un être humain, et non une bestiole d’une autre espèce. Ce n’est pas un appendice du corps de sa mère, de telle sorte qu’elle puisse dire : je fais de mon corps ce que je veux. Il doit être reconnu pour ce qu’il est, et son droit à la vie, à grandir, à naître et à voir la lumière du soleil doit être protégé.
Le crime de l’avortement a été utilisé par les régimes totalitaires et les impérialismes pour empêcher la croissance démographique dans les pays pauvres ; c’est aussi une aspiration typique de la bourgeoisie. C’est dommage pour les partis de gauche qui, dans leur aveuglement idéologique, ne comprennent pas que les femmes pauvres, en général, ne veulent pas abandonner leur petit enfant, même s’il a été conçu contre leur volonté. Elles possèdent un sens de la vie, de l’ordre naturel, méprisé par les sociétés confortables d’un Occident déshumanisé. Chez de nombreux hommes politiques argentins, des préjugés idéologiques ont pris le pas sur la réflexion qui découvre la vérité de l’être ; ils ignorent ou répudient le concept métaphysique de la nature, et ne peuvent donc pas appréhender la réalité qu’elle désigne, et l’ordre naturel qui en découle.
Il faut résister à cette nouvelle tentative « avortiste » de l’Etat qui, si elle se réalise, apportera des malheurs plus grands que ceux que la société argentine subit déjà. Ce serait un pas de plus vers l’abîme de la dégradation de la communauté nationale, le triomphe du matérialisme et de l’individualisme égoïste qui priverait notre peuple de l’avenir digne qu’il mérite.
Mgr Hector Aguer