Billet de blogue d’Augustin Hamilton (Campagne Québec-Vie) — Photo : Syda Productions/Adobe Stock
La crainte d’être accusé aux États-Unis d’avortement volontaire pour une fausse-couche ou son traitement, ou injustement d’« abus du corps » pour la façon dont on traite le bébé spontanément avorté est-elle justifiée ?
Une lectrice de CQV nous avait récemment envoyé deux pages traitant de ces questions, une émission de Patrick Lagacé sur 98.5 et un article du Guardian, nous faisant part de son inquiétude face au sombre tableau que ces deux réquisitoires dépeignent de la situation des femmes dans les États américains limitant l’avortement. Certes, on peut dire que la situation est d’une certaine façon sombre, mais pas exactement pour la cause invoquée par les partisans du « choix » qui sont, je le crois, grandement en partie à l’origine du phénomène de confusion qu’ils dénoncent eux-mêmes.
C’est un sujet qui mérite d’être étudié en profondeur. Je vous propose ci-dessous mon analyse de ces deux articles, à la lumière des faits relatés par des médecins et des organisations pro-vie aux États-Unis.
Résumé :
- Il n’y a pas eu une augmentation de la mortalité maternelle en général aux États-Unis depuis l’infirmation de Roe, au contraire.
- Les associations médicales et les médias sont en bonne partie cause de la confusion.
- Les exceptions pour l’avortement sont exactement les mêmes qu’auparavant et ne sont donc pas plus floues.
- Il ne semble pas y avoir eu de cas de femme ou de médecin condamné à tort.
- Peut-être que certaines lois auraient besoin d’être clarifiées, notamment par rapport au traitement réservé au corps des bébés expulsés lors d’une fausse-couche. Il conviendrait que les pro-vie fassent le plus d’efforts possible pour informer la population.
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Tout d’abord et avant tout, il convient de noter qu’aucune opinion de pro-vie n’est donnée dans l’émission de Patrick Lagacé ou l’article du Guardian.
Dans l’émission de Patrick Lagacé, le Dr Diane Francœur mentionne les données du CDC de l’année dernière qui montre une augmentation des décès maternels chez les Afro-américaines.
— Réponse : effectivement, on a pu constater une légère augmentation des décès maternels chez les Afro-américaines de 2022 à 2023, cependant, les mêmes données du CDC indiquent également qu’en général, la mortalité maternelle a baissé aux États-Unis, surpassant largement la hausse mentionnée plus haut.
Le Dr Francœur rapporte que des médecins des États restreignant l’avortement lui ont confié qu’ils craignaient de soigner les femmes qui ont eu une fausse-couche de peur de se faire accuser d’avoir commis un avortement, et que dans des hôpitaux de ces États, ces services sont refusés aux femmes qui ont eu une fausse-couche. (1) Elle affirme également que, selon les dires de collègues américains (qui prétendent qu’ils ne peuvent pas le dire publiquement, comme pour le reste), « les femmes meurent davantage depuis le renversement de l’accès à l’avortement ». (2)
— Réponse 1 : il est possible que les gens soient confus par rapport aux lois sur l’avortement, y compris les médecins eux-mêmes. Est-ce à cause du fait que les lois sont obscures, est-ce en raison de l’ignorance générale des gens, ou est-ce en raison d’une crainte irraisonnée ? Peut-être est-ce en partie à cause du fait que les médias ont prédit que les lois limitant l’avortement interdiraient les soins de fausses-couches que les gens ont cru que cela était effectivement vrai. Du côté des médecins, le principal facteur provient sans doute du fait que leurs associations, qui les informes des changements dans les lois concernant les soins de santé, ne leur ont pas donné d’instruction pour se conformer aux lois pro-vie, et même jettent la confusion, d’où sans doute l’incertitude des médecins.
— Réponse 2 : les statistiques officielles disent le contraire, l’un des deux côtés ment ou se trompe.
Le Guardian reconnaît (chose rare de la part d’un média !) que toutes les lois limitant l’avortement aux États-Unis ont une exception en cas de danger pour la vie de la mère, mais que, objectent nombre de médecins, « les exceptions étaient trop vagues pour être applicables ».
— Réponse : Cette objection me sidère... Car, corrigez-moi si je me trompe, l’exception pour la vie de la mère existait déjà dans les lois précédentes. Il est vrai que les exceptions à l’interdiction de l’avortement, comme celle pour la « santé » de la femme que l’on étendait allègrement à la « santé mentale » ou même « économique », étaient si vagues que l’on en abusait pour avorter à tour de bras sous tous les prétextes, ou pour ainsi dire aucun. La vie de la femme est sans doute le critère le moins vague, encore que l’appréciation du danger pour sa vie peut être variable, mais cela n’empêche pas les médecins d’appliquer la loi dans le même esprit qu’auparavant... J’avoue que cet aspect gestationnel des nouvelles lois pro-vie a un côté flou, mais pas plus que les lois pro-avortement et peut-être même moins (la seule vraie distinction entre les deux est l’intention dans laquelle elles ont été faites), tant il est vrai que l’interprétation de ces lois dépend au fond des tribunaux. Enlevez donc les exceptions et ce sera plus clair, l’avortement n’est, du reste, pas « nécessaire » pour sauver la vie de la femme.
L’article du Guardian révèle une même incertitude au sein de la population américaine par rapport aux lois limitant l’avortement et leurs rapports avec les fausses-couches. L’article rapporte le témoignage de femmes qui ont eu une fausse-couche et qui craignent qu’on les accuse d’avoir volontairement avorté.
— Réponse : ceci peut être compréhensible pour les gens ordinaires vu la propagande médiatique dont ils sont victimes. Cela est moins compréhensible du côté des médecins, après tout, avant le jugement Roe, les lois dans tous les États-Unis étaient bien plus sévères que les celles actuelles, et, que je sache, il n’y avait pas cette crainte d’être accusé à tort d’avoir avorté volontairement. Que je sache, il n’y a pas non plus de pro-vie qui craignent d’être accusés d’avoir avorté dans le cadre de leurs propres lois.
L’article du Guardian apporte un autre élément : l’incertitude sur la façon dont on doit disposer de l’embryon ou du fœtus spontanément avorté. Ainsi, le Guardian rapporte le cas d’une femme qui a eu une fausse-couche aux toilettes, a essayé de retirer le produit de la fausse-couche, puis a été à l’hôpital où une infirmière l’a dénoncée, et s’est faite accusée par la police du crime de 5e degré d’« abus du corps », avant d’être acquittée par un jury.
— Réponse : Cette affaire montre qu’il y a sans doute eu un abus de la loi lorsque cette femme s’est fait dénoncer et accuser, mais elle montre également ultimement que les accusations infondées n’aboutissent pas à la condamnation. Faut-il donc supprimer toute loi dont on puisse dans une certaine mesure abuser ? Certes non, autrement il n’y aurait aucune loi.
Dans le reste de l’article, l’incertitude des médecins et des gens en général quant à la disposition du corps du bébé avorté spontanément est rapportée en long en large. La confusion porte sur le moment à partir duquel le corps est considéré comme un corps humain et sur la façon de le traiter. Et du fait que l’obligation d’enterrer ou d’incinérer le corps ne s’applique dans les États qui ont de telles dispositions qu’aux établissements médicaux.
— Réponse : Cette incertitude quant au traitement du corps peut être directement reliée à la confusion des pro-avortement sur le moment où l’enfant à naître devient humain. En effet, si la conception de l’être humain dans leur esprit n’est pas fixe, le traitement de son corps ne l’est pas non plus. Évidemment, il y a aussi le fait que les lois gestationnelles n’interdisent l’avortement qu’à partir d’un certain moment (comme à six semaines en Floride). Du reste, s’ils traitaient toujours le corps comme celui d’un être humain (comme le feraient les pro-vie), et qu’ils l’enterraient (s’il y a un corps visible) au lieu de tirer la chasse, je crois qu’ils ne seraient pas si inquiets. Cette crainte prend des proportions outre mesure en ce que les gens craignent même d’apporter le corps à un salon funéraire ou à l’hôpital, étrange puisque cela serait légalement la façon la plus digne de traiter le corps — mais encore là, la crainte de se faire accuser d’avortement volontaire empêcherait certaines femmes de poser ce geste.
Le Guardian rapporte : « Entre 2000 et 2020, au moins 61 personnes ont fait l’objet d’une enquête criminelle ou ont été arrêtées pour avoir prétendument mis fin à leur propre grossesse ou avoir aidé quelqu’un d’autre à le faire, a constaté If/When/How dans un rapport publié l’année dernière. La plupart des adultes dont les dossiers ont été traités par le système judiciaire vivaient dans la pauvreté. Dans de nombreux cas, les accusations ont été portées en vertu de lois qui, à l’origine, n’étaient pas censées s’appliquer à la fin d’une grossesse, telles que la maltraitance des enfants, l’agression criminelle ou l’agression d’un enfant à naître, voire l’homicide et le meurtre. »
— Réponse : On peut voir que les poursuites pour avortement ou « abus du corps » sont assez rares et ne surviennent que dans des affaires comportant plusieurs éléments potentiels de crimes.
Cette crainte de se voir poursuivre en vertu des lois pro-vie me semble au final assez étrange, après tout, la présomption d’innocence s’applique également dans ces cas-là. Je suis outré des propos du Dr Francœur qui affirme que les médecins courent un risque lorsqu’ils pratiquent un curetage pour traiter une fausse-couche, un traitement, dit-elle, qui peut être essentiel pour la vie de la mère. « C’est la responsabilité du médecin », dit-elle « de démontrer hors de tout doute qu’il n’y avait plus de vie ». « Ça, c’est un fardeau qui est quasi impossible ? » demande Patrick Lagacé. Ce à quoi le Dr Francœur répond par l’affirmative. Je ne crois pas que les standards exigés pour le respect de la vie de l’enfant à naître soient plus élevés que lorsqu’il s’agit de la vie d’un patient ordinaire. Après tout, quand les médecins doivent prodiguer des soins qui comportent un risque, dont celui de poursuite, ils le pratiquent quand même, en quoi cela est-il différent ? Peut-être y a-t-il la crainte que les médecins qui pratiquent tout de même légalement des avortements fassent plus facilement l’objet de suspicion — un autre défaut des lois gestationnelles qui permettent et interdisent à la fois l’avortement. Cependant, faut-il le souligner, comme tous les États américains comportent une exception pour la vie de la mère, le commentaire du Dr Francœur n’a aucun sens.
Finalement, peut-être que les lois mériteraient d’être clarifiées, surtout en ce qui concerne le traitement réservé au corps des bébés expulsés lors d’une fausse-couche. Ce qui apparaît surtout dans cette affaire, c’est que les pro-vie doivent faire tous leurs efforts auprès de la population pour démontrer que les lois limitant l’avortement n’empêchent pas les soins de fausses-couches et ne font pas planer le risque de poursuites sur les femmes qui ont une fausse-couche.
Pour conclure, je crois que les médias sont grandement la cause de la confusion à ce sujet.
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