Billet de blogue d’Augustin Hamilton (Campagne Québec-Vie) — Photo (rognée) : Malacañang Photo Bureau/Wikimedia Commons
Le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, a récemment publié son troisième livre d’entretien avec Nicolas Diat Le soir approche et déjà le jour baisse. Ce livre décrit la crise actuelle du monde, une crise de foi, de rejet de Dieu, d’athéisme qui trouve sa source en Occident. Mgr Sarah aborde dans son livre la question de la société catholique, de la vérité et de la liberté, du sacerdoce et du célibat, des scandales dans l’Église et de leur remède, du relativisme et de l’athéisme qui contaminent le langage de certains ecclésiastiques, de la culture de mort et d’autodestruction occidentale, de l’athéisme par rapport à l’islamisme, enfin du chemin à suivre pour sauver une civilisation et pour une vraie évangélisation.
Le cardinal Robert Sarah a accordé un entretien à la revue La Nef, où il présente les différents aspects que l’on rencontre dans son ouvrage.
Il commence par expliquer que la crise spirituelle concerne le monde entier, mais qu’elle a sa source en Occident. Extraits de La Nef :
L’effondrement spirituel a donc des traits proprement occidentaux. Je voudrais relever en particulier le refus de la paternité. On a convaincu nos contemporains que pour être libre il fallait ne dépendre de personne. Il y a là une erreur tragique. Les Occidentaux sont persuadés que recevoir est contraire à la dignité de la personne. Or l’homme civilisé est fondamentalement un héritier, il reçoit une histoire, une culture, un nom, une famille. C’est ce qui le distingue du barbare. Refuser de s’inscrire dans un réseau de dépendance, d’héritage et de filiation nous condamne à entrer nus dans la jungle de la concurrence d’une économie laissée à elle-même. Parce qu’il refuse de s’accepter comme héritier, l’homme se condamne à l’enfer de la mondialisation libérale où les intérêts individuels s’affrontent sans autre loi que celle du profit à tout prix.
Mais dans ce livre, je veux rappeler aux Occidentaux que la raison véritable de ce refus d’hériter, de ce refus de la paternité est au fond le refus de Dieu. Je discerne au fond des cœurs occidentaux un profond refus de la paternité créatrice de Dieu. Nous recevons de lui notre nature d’homme et de femme. Cela devient insupportable aux esprits modernes. L’idéologie du genre est un refus luciférien de recevoir de Dieu une nature sexuée. L’Occident refuse de recevoir, il n’accepte que ce qu’il construit lui-même. Le transhumanisme est l’ultime avatar de ce mouvement. Même la nature humaine, parce qu’elle est un don de Dieu, devient insupportable à l’homme d’Occident.
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Cette révolte est en son essence spirituelle, elle est comme le refus de Lucifer, l’homme occidental refuse d’être sauvé par miséricorde, par le don de la grâce. Les « valeurs occidentales » promues par l’ONU reposent sur le refus de Dieu.
Le cardinal continue plus loin, disant que les chrétiens doivent être missionnaires et ne pas garder pour eux le trésor de la foi, de la vérité qui libère : Jésus-Christ. Nous ne devons pas rester tranquilles quand un si grand nombre d’âmes ignore ce trésor. Le but de l’évangélisation n’est pas cependant de dominer le monde, mais le service de Dieu, car la victoire du Christ sur le monde c’est sa croix. Toutefois, une société catholique est des plus souhaitables, et sa construction revient aux fidèles laïcs :
Il y a urgence à annoncer le cœur de notre foi : seul Jésus nous sauve du péché. Toutefois, il faut souligner que l’évangélisation n’est complète que lorsqu’elle atteint les structures de la société. Une société inspirée de l’Évangile protège les plus faibles contre les conséquences du péché. Inversement une société coupée de Dieu devient vite une structure de péché. Elle encourage au mal. C’est pourquoi on peut dire qu’il ne saurait y avoir de société juste sans une place pour Dieu dans le domaine public. Un État qui proclame l’athéisme est un État injuste. Un État qui renvoie Dieu au domaine privé est un État qui se coupe de la source réelle du droit et de la justice. Un État qui prétend fonder le droit uniquement sur son bon vouloir, qui ne cherche pas à fonder la loi sur un ordre objectif reçu du Créateur, risque de sombrer dans le totalitarisme.
La liberté dont l’homme occidental se réclame, jusqu’à vouloir ne pas vouloir connaître la vérité comme si celle-ci pouvait la mettre en danger, est inséparable de la vérité :
L’homme moderne hypostasie sa liberté, il en fait un absolu au point de la croire menacée quand il reçoit la vérité. Pourtant, recevoir la vérité est le plus bel acte de liberté qu’il soit donné à l’homme d’accomplir. Je crois que votre question révèle combien la crise de la conscience occidentale est au fond une crise de la foi. L’homme occidental a peur de perdre sa liberté en recevant le don de la foi véritable. Il préfère s’enfermer dans une liberté vide de contenu. L’acte de foi est la rencontre entre liberté et vérité. C’est pourquoi j’ai tenu, dans le premier chapitre de mon livre, à insister sur la crise de la foi.
Mgr Sarah évoque la crise du sacerdoce dans l’Église et prend la défense du célibat des prêtres. Il rapproche entre autres la crise de l’Église à la mondanité, qui est une des tentations qui assaillent les ecclésiastiques, rappelant qu’un prêtre doit être un autre Christ, la continuation de la présence du Christ parmi nous. Mgr Sarah a consacré son livre aux prêtres du monde entier, car il connaît leur souffrance et il sait leur faiblesse. Aussi, leur recommande-t-il de se tenir à la croix :
La place d’un prêtre est sur la Croix. Quand il célèbre la messe, il est à la source de toute sa vie, c’est-à-dire à la Croix. Le célibat est un des moyens concrets qui nous permet de vivre ce mystère de la Croix dans nos vies. Le célibat inscrit la Croix jusque dans notre chair. C’est pour cela que le célibat est insupportable pour le monde moderne. Le célibat est un scandale pour les modernes, parce que la Croix est un scandale.
Mgr Sarah évoque également les problèmes d’homosexualité de certains ecclésiastiques, rappelant que c’est un péché et non la définition d'une personne, la manière dont il faut les considérer et les remèdes à y apporter :
Pour ce qui regarde les comportements homosexuels, ne tombons pas dans le piège des manipulateurs. Il n’y a pas dans l’Église un « problème homosexuel ». Il y a un problème de péchés et d’infidélité. Ne nous laissons pas imposer le vocabulaire de l’idéologie LGBT. L’homosexualité ne définit pas l’identité des personnes. Elle qualifie des actes déviants et peccamineux. Pour ces actes, comme pour les autres péchés, les remèdes sont connus. Il s’agit de retourner au Christ, de le laisser nous convertir. Quand la faute est publique, le droit pénal de l’Église doit s’appliquer. Punir est une miséricorde. La peine répare le bien commun blessé et permet au coupable de se racheter. La punition fait partie du rôle paternel des évêques. Enfin, nous devons avoir le courage d’appliquer avec clarté les normes concernant l’accueil des séminaristes. On ne peut recevoir comme candidats au sacerdoce des personnes ayant une psychologie ancrée durablement et profondément dans l’homosexualité.
La crise morale et théologique, et l’athéisme, ce poison :
Dans la conclusion de mon livre, je parle de ce poison dont nous sommes tous victimes : l’athéisme liquide. Il infiltre tout, même nos discours d’ecclésiastiques. Il consiste à admettre à côté de la foi, des modes de pensée ou de vie radicalement païens et mondains. Et nous nous satisfaisons de cette cohabitation contre nature ! Cela montre que notre foi est devenue liquide et sans consistance ! La première réforme à faire est dans notre cœur. Elle consiste à ne plus pactiser avec le mensonge. La foi est en même temps le trésor que nous voulons défendre et la force qui nous permet de la défendre.
Le cardinal Sarah aborde donc dans son livre la question de la culture de mort, d’autodestruction, de consumérisme, liée au libéralisme mondial, etc. que les musulmans rejettent, se tournant davantage vers l’islam. L’Occident est menacé aussi bien de l’intérieur par les barbares ennemis de la vie, que par l’intrusion de l’islamisme :
Je voudrais d’abord expliquer pourquoi moi, fils de l’Afrique, je me permets de m’adresser à l’Occident. L’Église est la gardienne de la civilisation. Or, je suis persuadé que la civilisation occidentale vit une crise mortelle. Elle a atteint les limites de la haine autodestructrice. Comme à l’époque de la chute de Rome, les élites ne se soucient que d’augmenter le luxe de leur vie quotidienne et les peuples sont anesthésiés par des divertissements de plus en plus vulgaires. Comme évêque, je me dois de prévenir l’Occident ! Les barbares sont désormais à l’intérieur de la cité. Les barbares sont tous ceux qui haïssent la nature humaine, tous ceux qui bafouent le sens du sacré, tous ceux qui méprisent la vie.
L’Occident est aveuglé par sa soif de richesses. L’appât de l’argent que le libéralisme répand dans les cœurs endort les peuples. Pendant ce temps, la tragédie silencieuse de l’avortement et de l’euthanasie continue. Pendant ce temps, la pornographie et l’idéologie du genre détruisent les enfants et les adolescents. Nous sommes habitués à la barbarie, elle ne nous surprend même plus ! J’ai voulu pousser un cri d’alarme qui est aussi un cri d’amour. Je l’ai fait le cœur plein de reconnaissance filiale pour les missionnaires occidentaux qui sont morts sur ma terre africaine. Je veux prendre leur suite et recueillir leur héritage !
Comment ne pas souligner aussi le danger que constitue l’islamisme ? Les musulmans méprisent l’Occident athée. Ils se réfugient dans l’islamisme par refus d’une société de consommation qu’on leur propose comme religion. L’Occident saura-t-il leur proposer clairement la foi ? Il faudrait pour cela qu’il retrouve ses racines et son identité chrétienne […]
Je veux cependant souligner que tout est prêt pour le renouveau. Je vois des familles, des monastères, des paroisses qui sont autant d’oasis au milieu du désert. C’est à partir de ces oasis de foi, de liturgie, de beauté et de silence que l’Occident renaîtra.
Enfin, nous devons pour remédier à cette redoutable crise vivre notre foi fidèlement et complètement :
Nous devons simplement vivre notre foi, complètement et radicalement. Les vertus chrétiennes sont l’épanouissement de la foi dans toutes les facultés humaines. Elles tracent le chemin d’une vie heureuse selon Dieu. Nous devons créer des lieux où elles puissent fleurir. J’appelle les chrétiens à ouvrir des oasis de gratuité dans le désert de la rentabilité triomphante. Nous devons créer des lieux où l’air soit respirable, où, tout simplement, la vie chrétienne soit possible. Nos communautés doivent mettre Dieu au centre.