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Un état civil in utero?

Le Nouvel Observateur

Notre époque, jeudi, 4 septembre 2008, p. 84

Un état civil in utero?

Statut de l'embryon et du foetus

CURTET-POULNER, Isabelle

Inhumer ou inscrire sur le livret de famille un foetus mort-né?

Un décret aujourd'hui l'autorise.

Au grand dam des défenseurs de l'avortement

De sa seule et unique grossesse, elle n'a rien oublié. Dans ce chez-elle qu'aucun bruit de bébé ne perturbe, la mémoire de l'enfantement est tout ce qui lui reste. Anne, 47 ans, se souvient de l'instant où sa petite a remué pour la dernière fois dans son ventre, «elle qui ne bougeait plus depuis plusieurs jours»; de l'horaire de l'accouchement déclenché, en fin de matinée. Et du glas de 10h30, quand le coeur de Daya s'est arrêté. «J'ai dû accoucher de mon enfant mort. Je l'ai tenu dans mes bras. C'était un moment très calme.» Dix ans ont passé, et le silence qui a nimbé ce deuil reste intact. Celui du corps médical, de la famille, des amis, celui des documents administratifs.

Une absence de mots pour une douleur à fuir.

Jusque-là, pour ce couple sans enfants, la loi ne prévoyait pas de livret de famille: «Non mariés, nous n'y avions pas droit. Nous n'étions même pas parents en deuil.» Impossible d'avoir trace de cette vie tronquée, ni d'inscrire Daya dans la partie basse du livret, réservée aux décès. Impossible d'obtenir une simple reconnaissance de deuil. «Je suis repartie ventre vide, berceau vide. Comme s'il n'y avait rien eu.» Avec, entre les mains, une feuille volante: un «acte d'enfant sans vie». La seule pièce à conviction de sa maternité défunte.Comme elle, chaque année de 3 000 à 5 000 couples font face à la perte d'un bébé mort-né. Jusqu'ici, ils quittaient la maternité avec des droits différents selon son seuil de viabilité, fixé à 22 semaines de grossesse ou 500 grammes, d'après les recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé. En deçà, ils ne pouvaient ni l'inscrire à l'état civil ni procéder à des funérailles. Longtemps considérés comme des «déchets anatomiques», les corps étaient incinérés par l'hôpital. Une situation dénoncée par certaines familles aux côtés de l'association Clara.

Florence Basset, sa présidente, milite pour la reconnaissance des enfants nés sans vie entre 16 et 22 semaines de grossesse. Le 6 février dernier, elle a obtenu une première victoire: un arrêt de la Cour de Cassation a jugé ce palier dépourvu de base légale. Deux décrets du 20 août vont plus loin: ils abolissent tout seuil. Concrètement, hormis les fausses couches précoces et les interruptions volontaires de grossesse, tout foetus mort-né peut à présent figurer sur l'arbre généalogique officiel. Ses parents, mariés ou non, peuvent décider de ses obsèques, mais surtout le déclarer à l'état civil et l'intégrer au livret de famille. Une personnification du foetus qui, si elle satisfait les familles concernées, relance la polémique sur l'avortement. Ce débat, Séverine, infirmière de 32 ans, le chasse d'un revers de main. Seule compte la reconnaissance de ses jumelles, mortes à 21 semaines de grossesse. «Pour certains, ce sont des foetus; pour nous, c'était nos filles, notre chair.» Leurs cendres reposent dans une urne de sa maison: la maternité de Besançon a accepté que les corps soient incinérés par la famille. Une exception. «Ces décès se sont longtemps déroulés dans le secret», rappelle Véronique Mirlesse, médecin spécialiste du diagnostic anténatal à l'hôpital Bichat, à Paris.

Une absence de traitement pointée par le sociologue Luc Boltanski :«Le foetus n'était pas, jusqu'à une époque récente, reconnu comme un être doté d'une identité spécifique, comme en témoigne [...]la quasi- absence de rituels accompagnant, en cas de fausse couche spontanée, sa sortie du monde des vivants.»

Désormais, de plus en plus de parents sont désireux de tirer des limbes les petits sans vie et de les inclure dans la lignée familiale. Les progrès de l'imagerie médicale y sont pour beaucoup. Echographies en 3D, mini films: aujourd'hui, le bébé se dévoile dans un son et images troublant. Cette médecine anténatale en Technicolor a bouleversé les rapports entre parents et futur enfant. «La rencontre se fait avant la naissance et perturbe tous les repères traditionnels sur les notions de début et de fin de vie, analyse Muriel Flis-Trèves, psychiatre à l'hôpital Antoine- Béclère de Clamart . Quand la grossesse s'achève avant la naissance, les couples ont eu un rapport différent avec le foetus.» Sylvie, Marseillaise de 43 ans, le dit sans détour: «Quand on entend le coeur battre, le gamin est là.» Elle a perdu ses jumeaux à 16 semaines: «Le premier est mort dans mon ventre. Le second à la naissance. Ils font partie de l'histoire familiale, mais ne figurent nulle part. Et ils n'ont pas pu être enterrés.»

Depuis dix ans, elle réclame une trace posthume.Elle est en passe de l'obtenir. Mais ces décrets, qu'aucune urgence ne dictait, inquiètent les professionnels de la santé. En plaçant sur le même plan tous les foetus, quel que soit leur niveau de développement, ce droit à l'état civil ravive le débat sur l'avortement, autorisé jusqu'à 14 semaines d'aménorrhée. «Qu'un décret sur un sujet d'une telle complexité sorte ainsi, l'été, sans débat contradictoire, alors que les lois sur la bioéthique vont être discutées à l'automne, n'est pas neutre, s'indigne Sophie Gaudu, obstétricienne à Saint-Vincent-de-Paul. Je ne peux pas croire que ce soit dépourvu de mauvaises intentions.»

Pour la présidente du réseau IVG en Ile-de-France se joue là une question fondamentale:

«Comment avorter des foetus que, dans d'autres circonstances, l'état civil reconnaît?»

Emmanuelle Piet, médecin, renchérit: «On légifère à l'émotion. Tous les vilains anti-IVG vont s engouffrer dans la brèche.» «On a répondu à une demande humaine, tempère Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République. Reste une incertitude juridique, qu'il faut lever en réaffirmant un seuil.» Dans ce débat, chaque mot compte, le moindre glissement sémantique, la plus infime marque symbolique font ricochet sur le deuil des uns, la liberté des autres. Avec, en toile de fond, la question du droit des femmes et de leurs entrailles. «L'inscription à l'état civil fait avancer l'idée d'un être humain à part entière dès la conception, insiste Véronique Mirlesse. Elle influe sur la perception de la personnalité foetale. C'est l'évolution du regard d'une société tout entière qui s'esquisse. Petit à petit.» Un glissement insidieux apparemment motivé par de louables intentions: soulager les couples du deuil des petits éphémères qui constellent le «carré des anges» de certains cimetières.

2008 Le Nouvel Observateur

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